tte femme morte ? demanda d'Artagnan. -- Par cette lettre que mon camarade a dans sa poche. -- Tu vois bien alors qu'il faut que j'aie cette lettre, dit d'Artagnan ; ainsi donc plus de retard, plus d'hÊsitation, ou quelle que soit ma rÊpugnance Á tremper une seconde fois mon ÊpÊe dans le sang d'un misÊrable comme toi, je le jure par ma foi d'honnËte homme... " Et Á ces mots d'Artagnan fit un geste si menaÚant, que le blessÊ se releva. " ArrËtez ! arrËtez ! s'Êcria-t-il reprenant courage Á force de terreur, j'irai... j'irai !... " D'Artagnan prit l'arquebuse du soldat, le fit passer devant lui et le poussa vers son compagnon en lui piquant les reins de la pointe de son ÊpÊe. C'Êtait une chose affreuse que de voir ce malheureux, laissant sur le chemin qu'il parcourait une longue trace de sang, p×le de sa mort prochaine, essayant de se traÏner sans Ëtre vu jusqu'au corps de son complice qui gisait Á vingt pas de lÁ ! La terreur Êtait tellement peinte sur son visage couvert d'une froide sueur, que d'Artagnan en eut pitiÊ ; et que, le regardant avec mÊpris : " Eh bien, lui dit-il, je vais te montrer la diffÊrence qu'il y a entre un homme de coeur et un l×che comme toi ; reste, j'irai. " Et d'un pas agile, l'oeil au guet, observant les mouvements de l'ennemi, s'aidant de tous les accidents de terrain, d'Artagnan parvint jusqu'au second soldat. Il y avait deux moyens d'arriver Á son but : le fouiller sur la place, ou l'emporter en se faisant un bouclier de son corps, et le fouiller dans la tranchÊe. D'Artagnan prÊfÊra le second moyen et chargea l'assassin sur ses Êpaules au moment mËme oÝ l'ennemi faisait feu. Une lÊgÉre secousse, le bruit mat de trois balles qui trouaient les chairs, un dernier cri, un frÊmissement d'agonie prouvÉrent Á d'Artagnan que celui qui avait voulu l'assassiner venait de lui sauver la vie. D'Artagnan regagna la tranchÊe et jeta le cadavre auprÉs du blessÊ aussi p×le qu'un mort. AussitÆt il commenÚa l'inventaire : un portefeuille de cuir, une bourse oÝ se trouvait Êvidemment une partie de la somme que le bandit avait reÚue, un cornet et des dÊs formaient l'hÊritage du mort. Il laissa le cornet et les dÊs oÝ ils Êtaient tombÊs, jeta la bourse au blessÊ et ouvrit avidement le portefeuille. Au milieu de quelques papiers sans importance, il trouva la lettre suivante : c'Êtait celle qu'il Êtait allÊ chercher au risque de sa vie : " Puisque vous avez perdu la trace de cette femme et qu'elle est maintenant en sÙretÊ dans ce couvent oÝ vous n'auriez jamais dÙ la laisser arriver, t×chez au moins de ne pas manquer l'homme ; sinon, vous savez que j'ai la main longue et que vous payeriez cher les cent louis que vous avez Á moi. " Pas de signature. NÊanmoins il Êtait Êvident que la lettre venait de Milady. En consÊquence, il la garda comme piÉce Á conviction, et, en sÙretÊ derriÉre l'angle de la tranchÊe, il se mit Á interroger le blessÊ. Celui-ci confessa qu'il s'Êtait chargÊ avec son camarade, le mËme qui venait d'Ëtre tuÊ, d'enlever une jeune femme qui devait sortir de Paris par la barriÉre de La Villette, mais que, s'Êtant arrËtÊs Á boire dans un cabaret, ils avaient manquÊ la voiture de dix minutes. " Mais qu'eussiez-vous fait de cette femme ? demanda d'Artagnan avec angoisse. -- Nous devions la remettre dans un hÆtel de la place Royale, dit le blessÊ. -- Oui ! oui ! murmura d'Artagnan, c'est bien cela, chez Milady elle- mËme. " Alors le jeune homme comprit en frÊmissant quelle terrible soif de vengeance poussait cette femme Á le perdre, ainsi que ceux qui l'aimaient, et combien elle en savait sur les affaires de la cour, puisqu'elle avait tout dÊcouvert. Sans doute elle devait ces renseignements au cardinal. Mais, au milieu de tout cela, il comprit, avec un sentiment de joie bien rÊel, que la reine avait fini par dÊcouvrir la prison oÝ la pauvre Mme Bonacieux expiait son dÊvouement, et qu'elle l'avait tirÊe de cette prison. Alors la lettre qu'il avait reÚue de la jeune femme et son passage sur la route de Chaillot, passage pareil Á une apparition, lui furent expliquÊs. DÉs lors, ainsi qu'Athos l'avait prÊdit, il Êtait possible de retrouver Mme Bonacieux, et un couvent n'Êtait pas imprenable. Cette idÊe acheva de lui remettre la clÊmence au coeur. Il se retourna vers le blessÊ qui suivait avec anxiÊtÊ toutes les expressions diverses de son visage, et lui tendant le bras : " Allons, lui dit-il, je ne veux pas t'abandonner ainsi. Appuie-toi sur moi et retournons au camp. -- Oui, dit le blessÊ, qui avait peine Á croire Á tant de magnanimitÊ, mais n'est-ce point pour me faire pendre ? -- Tu as ma parole, dit-il, et pour la seconde fois je te donne la vie. " Le blessÊ se laissa glisser Á genoux et baisa de nouveau les pieds de son sauveur ; mais d'Artagnan, qui n'avait plus aucun motif de rester si prÉs de l'ennemi, abrÊgea lui-mËme les tÊmoignages de sa reconnaissance. Le garde qui Êtait revenu Á la premiÉre dÊcharge des Rochelois avait annoncÊ la mort de ses quatre compagnons. On fut donc Á la fois fort ÊtonnÊ et fort joyeux dans le rÊgiment, quand on vit reparaÏtre le jeune homme sain et sauf. D'Artagnan expliqua le coup d'ÊpÊe de son compagnon par une sortie qu'il improvisa. Il raconta la mort de l'autre soldat et les pÊrils qu'ils avaient courus. Ce rÊcit fut pour lui l'occasion d'un vÊritable triomphe. Toute l'armÊe parla de cette expÊdition pendant un jour, et Monsieur lui en fit faire ses compliments. Au reste, comme toute belle action porte avec elle sa rÊcompense, la belle action de d'Artagnan eut pour rÊsultat de lui rendre la tranquillitÊ qu'il avait perdue. En effet, d'Artagnan croyait pouvoir Ëtre tranquille, puisque, de ses deux ennemis, l'un Êtait tuÊ et l'autre dÊvouÊ Á ses intÊrËts. Cette tranquillitÊ prouvait une chose, c'est que d'Artagnan ne connaissait pas encore Milady. CHAPITRE XLII. LE VIN D'ANJOU AprÉs des nouvelles presque dÊsespÊrÊes du roi, le bruit de sa convalescence commenÚait Á se rÊpandre dans le camp ; et comme il avait grande h×te d'arriver en personne au siÉge, on disait qu'aussitÆt qu'il pourrait remonter Á cheval, il se remettrait en route. Pendant ce temps, Monsieur, qui savait que, d'un jour Á l'autre, il allait Ëtre remplacÊ dans son commandement, soit par le duc d'AngoulËme, soit par Bassompierre ou par Schomberg, qui se disputaient le commandement, faisait peu de choses, perdait ses journÊes en t×tonnements, et n'osait risquer quelque grande entreprise pour chasser les Anglais de l'Ïle de RÊ, oÝ ils assiÊgeaient toujours la citadelle Saint- Martin et le fort de La PrÊe, tandis que, de leur cÆtÊ, les FranÚais assiÊgeaient La Rochelle. D'Artagnan, comme nous l'avons dit, Êtait redevenu plus tranquille, comme il arrive toujours aprÉs un danger passÊ, et quand le danger semble Êvanoui ; il ne lui restait qu'une inquiÊtude, c'Êtait de n'apprendre aucune nouvelle de ses amis. Mais, un matin du commencement du mois de novembre, tout lui fut expliquÊ par cette lettre, datÊe de Villeroi : " Monsieur d'Artagnan, " MM. Athos, Porthos et Aramis, aprÉs avoir fait une bonne partie chez moi, et s'Ëtre ÊgayÊs beaucoup, ont menÊ si grand bruit, que le prÊvÆt du ch×teau, homme trÉs rigide, les a consignÊs pour quelques jours ; mais j'accomplis les ordres qu'ils m'ont donnÊs, de vous envoyer douze bouteilles de mon vin d'Anjou, dont ils ont fait grand cas : ils veulent que vous buviez Á leur santÊ avec leur vin favori. " Je l'ai fait, et suis, Monsieur, avec un grand respect, " Votre serviteur trÉs humble et trÉs obÊissant, " GODEAU, " HÆtelier de Messieurs les mousquetaires. " " A la bonne heure ! s'Êcria d'Artagnan, ils pensent Á moi dans leurs plaisirs comme je pensais Á eux dans mon ennui ; bien certainement que je boirai Á leur santÊ et de grand coeur ; mais je n'y boirai pas seul. " Et d'Artagnan courut chez deux gardes, avec lesquels il avait fait plus amitiÊ qu'avec les autres, afin de les inviter Á boire avec lui le dÊlicieux petit vin d'Anjou qui venait d'arriver de Villeroi. L'un des deux gardes Êtait invitÊ pour le soir mËme, et l'autre invitÊ pour le lendemain ; la rÊunion fut donc fixÊe au surlendemain. D'Artagnan, en rentrant, envoya les douze bouteilles de vin Á la buvette des gardes, en recommandant qu'on les lui gard×t avec soin ; puis, le jour de la solennitÊ, comme le dÏner Êtait fixÊ pour l'heure de midi, d'Artagnan envoya, dÉs neuf heures, Planchet pour tout prÊparer. Planchet, tout fier d'Ëtre ÊlevÊ Á la dignitÊ de maÏtre d'hÆtel, songea Á tout apprËter en homme intelligent ; Á cet effet il s'adjoignit le valet d'un des convives de son maÏtre, nommÊ Fourreau, et ce faux soldat qui avait voulu tuer d'Artagnan, et qui, n'appartenant Á aucun corps, Êtait entrÊ Á son service ou plutÆt Á celui de Planchet, depuis que d'Artagnan lui avait sauvÊ la vie. L'heure du festin venue, les deux convives arrivÉrent, prirent place et les mets s'alignÉrent sur la table. Planchet servait la serviette au bras, Fourreau dÊbouchait les bouteilles, et Brisemont, c'Êtait le nom du convalescent, transvasait dans des carafons de verre le vin qui paraissait avoir dÊposÊ par l'effet des secousses de la route. De ce vin, la premiÉre bouteille Êtait un peu trouble vers la fin, Brisemont versa cette lie dans un verre, et d'Artagnan lui permit de la boire ; car le pauvre diable n'avait pas encore beaucoup de forces. Les convives, aprÉs avoir mangÊ le potage, allaient porter le premier verre Á leurs lÉvres, lorsque tout Á coup le canon retentit au fort Louis et au fort Neuf ; aussitÆt les gardes, croyant qu'il s'agissait de quelque attaque imprÊvue, soit des assiÊgÊs, soit des Anglais, sautÉrent sur leurs ÊpÊes ; d'Artagnan, non moins leste, fit comme eux, et tous trois sortirent en courant, afin de se rendre Á leurs postes. Mais Á peine furent-ils hors de la buvette, qu'ils se trouvÉrent fixÊs sur la cause de ce grand bruit ; les cris de Vive le roi ! Vive M. le cardinal ! retentissaient de tous cÆtÊs, et les tambours battaient dans toutes les directions. En effet, le roi, impatient comme on l'avait dit, venait de doubler deux Êtapes, et arrivait Á l'instant mËme avec toute sa maison et un renfort de dix mille hommes de troupe ; ses mousquetaires le prÊcÊdaient et le suivaient. D'Artagnan, placÊ en haie avec sa compagnie, salua d'un geste expressif ses amis, qui lui rÊpondirent des yeux, et M. de TrÊville, qui le reconnut tout d'abord. La cÊrÊmonie de rÊception achevÊe, les quatre amis furent bientÆt dans les bras l'un de l'autre. " Pardieu ! s'Êcria d'Artagnan, il n'est pas possible de mieux arriver, et les viandes n'auront pas encore eu le temps de refroidir ! n'est-ce pas, Messieurs ? ajouta le jeune homme en se tournant vers les deux gardes, qu'il prÊsenta Á ses amis. -- Ah ! ah ! il paraÏt que nous banquetions, dit Porthos. -- J'espÉre, dit Aramis, qu'il n'y a pas de femmes Á votre dÏner ! -- Est-ce qu'il y a du vin potable dans votre bicoque ? demanda Athos. -- Mais, pardieu ! il y a le vÆtre, cher ami, rÊpondit d'Artagnan. -- Notre vin ? fit Athos ÊtonnÊ. -- Oui, celui que vous m'avez envoyÊ. -- Nous vous avons envoyÊ du vin ? -- Mais vous savez bien, de ce petit vin des coteaux d'Anjou ? -- Oui, je sais bien de quel vin vous voulez parler. -- Le vin que vous prÊfÊrez. -- Sans doute, quand je n'ai ni champagne ni chambertin. -- Eh bien, Á dÊfaut de champagne et de chambertin, vous vous contenterez de celui-lÁ. -- Nous avons donc fait venir du vin d'Anjou, gourmet que nous sommes ? dit Porthos. -- Mais non, c'est le vin qu'on m'a envoyÊ de votre part. -- De notre part ? firent les trois mousquetaires. -- Est-ce vous, Aramis, dit Athos, qui avez envoyÊ du vin ? -- Non, et vous, Porthos ? -- Non, et vous, Athos ? -- Non. -- Si ce n'est pas vous, dit d'Artagnan, c'est votre hÆtelier. -- Notre hÆtelier ? -- Et oui ! votre hÆtelier, Godeau, hÆtelier des mousquetaires. -- Ma foi, qu'il vienne d'oÝ il voudra, n'importe, dit Porthos, goÙtons- le, et, s'il est bon, buvons-le. -- Non pas, dit Athos, ne buvons pas le vin qui a une source inconnue. -- Vous avez raison, Athos, dit d'Artagnan. Personne de vous n'a chargÊ l'hÆtelier Godeau de m'envoyer du vin ? -- Non ! et cependant il vous en a envoyÊ de notre part ? -- Voici la lettre ! " dit d'Artagnan. Et il prÊsenta le billet Á ses camarades. " Ce n'est pas son Êcriture ! s'Êcria Athos, je la connais, c'est moi qui, avant de partir, ai rÊglÊ les comptes de la communautÊ. -- Fausse lettre, dit Porthos ; nous n'avons pas ÊtÊ consignÊs. -- D'Artagnan, demanda Aramis d'un ton de reproche, comment avez- vous pu croire que nous avions fait du bruit ?... " D'Artagnan p×lit, et un tremblement convulsif secoua tous ses membres. " Tu m'effraies, dit Athos, qui ne le tutoyait que dans les grandes occasions, qu'est-il donc arrivÊ ? -- Courons, courons, mes amis ! s'Êcria d'Artagnan, un horrible soupÚon me traverse l'esprit ! serait-ce encore une vengeance de cette femme ? " Ce fut Athos qui p×lit Á son tour. D'Artagnan s'ÊlanÚa vers la buvette, les trois Mousquetaires et les deux gardes l'y suivirent. Le premier objet qui frappa la vue de d'Artagnan en entrant dans la salle Á manger, fut Brisemont Êtendu par terre et se roulant dans d'atroces convulsions. Planchet et Fourreau, p×les comme des morts, essayaient de lui porter secours ; mais il Êtait Êvident que tout secours Êtait inutile : tous les traits du moribond Êtaient crispÊs par l'agonie. " Ah ! s'Êcria-t-il en apercevant d'Artagnan, ah ! c'est affreux, vous avez l'air de me faire gr×ce et vous m'empoisonnez ! -- Moi ! s'Êcria d'Artagnan, moi, malheureux ! moi ! que dis-tu donc lÁ ? -- Je dis que c'est vous qui m'avez donnÊ ce vin, je dis que c'est vous qui m'avez dit de le boire, je dis que vous avez voulu vous venger de moi, je dis que c'est affreux ! -- N'en croyez rien, Brisemont, dit d'Artagnan, n'en croyez rien ; je vous jure, je vous proteste... -- Oh ! mais Dieu est lÁ ! Dieu vous punira ! Mon Dieu ! qu'il souffre un jour ce que je souffre ! -- Sur l'Evangile, s'Êcria d'Artagnan en se prÊcipitant vers le moribond, je vous jure que j'ignorais que ce vin fÙt empoisonnÊ et que j'allais en boire comme vous. -- Je ne vous crois pas " , dit le soldat. Et il expira dans un redoublement de tortures. " Affreux ! affreux ! murmurait Athos, tandis que Porthos brisait les bouteilles et qu'Aramis donnait des ordres un peu tardifs pour qu'on all×t chercher un confesseur. -- O mes amis ! dit d'Artagnan, vous venez encore une fois de me sauver la vie, non seulement Á moi, mais Á ces Messieurs. Messieurs, continua-t-il en s'adressant aux gardes, je vous demanderai le silence sur toute cette aventure ; de grands personnages pourraient avoir trempÊ dans ce que vous avez vu, et le mal de tout cela retomberait sur nous. -- Ah ! Monsieur ! balbutiait Planchet plus mort que vif ; ah ! Monsieur ! que je l'ai ÊchappÊ belle ! -- Comment, drÆle, s'Êcria d'Artagnan, tu allais donc boire mon vin ? -- A la santÊ du roi, Monsieur, j'allais en boire un pauvre verre, si Fourreau ne m'avait pas dit qu'on m'appelait. -- HÊlas ! dit Fourreau, dont les dents claquaient de terreur, je voulais l'Êloigner pour boire tout seul ! -- Messieurs, dit d'Artagnan en s'adressant aux gardes, vous comprenez qu'un pareil festin ne pourrait Ëtre que fort triste aprÉs ce qui vient de se passer ; ainsi recevez toutes mes excuses et remettez la partie Á un autre jour, je vous prie. " Les deux gardes acceptÉrent courtoisement les excuses de d'Artagnan, et, comprenant que les quatre amis dÊsiraient demeurer seuls, ils se retirÉrent. Lorsque le jeune garde et les trois mousquetaires furent sans tÊmoins, ils se regardÉrent d'un air qui voulait dire que chacun comprenait la gravitÊ de la situation. " D'abord, dit Athos, sortons de cette chambre ; c'est une mauvaise compagnie qu'un mort, mort de mort violente. -- Planchet, dit d'Artagnan, je vous recommande le cadavre de ce pauvre diable. Qu'il soit enterrÊ en terre sainte. Il avait commis un crime, c'est vrai, mais il s'en Êtait repenti. " Et les quatre amis sortirent de la chambre, laissant Á Planchet et Á Fourreau le soin de rendre les honneurs mortuaires Á Brisemont. L'hÆte leur donna une autre chambre dans laquelle il leur servit des oeufs Á la coque et de l'eau, qu'Athos alla puiser lui-mËme Á la fontaine. En quelques paroles Porthos et Aramis furent mis au courant de la situation. " Eh bien, dit d'Artagnan Á Athos, vous le voyez, cher ami, c'est une guerre Á mort. " Athos secoua la tËte. " Oui, oui, dit-il, je le vois bien ; mais croyez-vous que ce soit elle ? -- J'en suis sÙr. -- Cependant je vous avoue que je doute encore. -- Mais cette fleur de lys sur l'Êpaule ? -- C'est une Anglaise qui aura commis quelque mÊfait en France, et qu'on aura flÊtrie Á la suite de son crime. -- Athos, c'est votre femme, vous dis-je, rÊpÊtait d'Artagnan, ne vous rappelez-vous donc pas comme les deux signalements se ressemblent ? -- J'aurais cependant cru que l'autre Êtait morte, je l'avais si bien pendue. " Ce fut d'Artagnan qui secoua la tËte Á son tour. " Mais enfin, que faire ? dit le jeune homme. -- Le fait est qu'on ne peut rester ainsi avec une ÊpÊe Êternellement suspendue au-dessus de sa tËte, dit Athos, et qu'il faut sortir de cette situation. -- Mais comment ? -- Ecoutez, t×chez de la rejoindre et d'avoir une explication avec elle ; dites-lui : La paix ou la guerre ! ma parole de gentilhomme de ne jamais rien dire de vous, de ne jamais rien faire contre vous ; de votre cÆtÊ serment solennel de rester neutre Á mon Êgard : sinon, je vais trouver le chancelier, je vais trouver le roi, je vais trouver le bourreau, j'ameute la cour contre vous, je vous dÊnonce comme flÊtrie, je vous fais mettre en jugement, et si l'on vous absout, et bien, je vous tue, foi de gentilhomme ! au coin de quelque borne, comme je tuerais un chien enragÊ. -- J'aime assez ce moyen, dit d'Artagnan, mais comment la joindre ? -- Le temps, cher ami, le temps amÉne l'occasion, l'occasion c'est la martingale de l'homme : plus on a engagÊ, plus l'on gagne quand on sait attendre. -- Oui, mais attendre entourÊ d'assassins et d'empoisonneurs... -- Bah ! dit Athos, Dieu nous a gardÊs jusqu'Á prÊsent, Dieu nous gardera encore. -- Oui, nous ; nous d'ailleurs, nous sommes des hommes, et, Á tout prendre, c'est notre Êtat de risquer notre vie : mais elle ! ajouta-t-il Á demi-voix. -- Qui elle ? demanda Athos. -- Constance. -- Mme Bonacieux ! ah ! c'est juste, fit Athos ; pauvre ami ! j'oubliais que vous Êtiez amoureux. -- Eh bien, mais, dit Aramis, n'avez-vous pas vu par la lettre mËme que vous avez trouvÊe sur le misÊrable mort qu'elle Êtait dans un couvent ? On est trÉs bien dans un couvent, et aussitÆt le siÉge de La Rochelle terminÊ, je vous promets que pour mon compte... -- Bon ! dit Athos, bon ! oui, mon cher Aramis ! nous savons que vos voeux tendent Á la religion. -- Je ne suis mousquetaire que par intÊrim, dit humblement Aramis. -- Il paraÏt qu'il y a longtemps qu'il n'a reÚu des nouvelles de sa maÏtresse, dit tout bas Athos ; mais ne faites pas attention, nous connaissons cela. -- Eh bien, dit Porthos, il me semble qu'il y aurait un moyen bien simple. -- Lequel ? demanda d'Artagnan. -- Elle est dans un couvent, dites-vous ? reprit Porthos. -- Oui. -- Eh bien, aussitÆt le siÉge fini, nous l'enlevons de ce couvent. -- Mais encore faut-il savoir dans quel couvent elle est. -- C'est juste, dit Porthos. -- Mais, j'y pense, dit Athos, ne prÊtendez-vous pas, cher d'Artagnan, que c'est la reine qui a fait choix de ce couvent pour elle ? -- Oui, je le crois du moins. -- Eh bien, mais Porthos nous aidera lÁ-dedans. -- Et comment cela, s'il vous plaÏt ? -- Mais par votre marquise, votre duchesse, votre princesse ; elle doit avoir le bras long. -- Chut ! dit Porthos en mettant un doigt sur ses lÉvres, je la crois cardinaliste et elle ne doit rien savoir. -- Alors, dit Aramis, je me charge, moi, d'en avoir des nouvelles. -- Vous, Aramis, s'ÊcriÉrent les trois amis, vous, et comment cela ? -- Par l'aumÆnier de la reine, avec lequel je suis fort liÊ... " , dit Aramis en rougissant. Et sur cette assurance, les quatre amis, qui avaient achevÊ leur modeste repas, se sÊparÉrent avec promesse de se revoir le soir mËme : d'Artagnan retourna aux Minimes, et les trois mousquetaires rejoignirent le quartier du roi, oÝ ils avaient Á faire prÊparer leur logis. CHAPITRE XLIII. L'AUBERGE DU COLOMBIER-ROUGE A peine arrivÊ au camp, le roi, qui avait si grande h×te de se trouver en face de l'ennemi, et qui, Á meilleur droit que le cardinal, partageait sa haine contre Buckingham, voulut faire toutes les dispositions, d'abord pour chasser les Anglais de l'Ïle de RÊ, ensuite pour presser le siÉge de La Rochelle ; mais, malgrÊ lui, il fut retardÊ par les dissensions qui ÊclatÉrent entre MM. de Bassompierre et Schomberg, contre le duc d'AngoulËme. MM. de Bassompierre et Schomberg Êtaient marÊchaux de France, et rÊclamaient leur droit de commander l'armÊe sous les ordres du roi ; mais le cardinal, qui craignait que Bassompierre, huguenot au fond du coeur, ne press×t faiblement les Anglais et les Rochelois, ses frÉres en religion, poussait au contraire le duc d'AngoulËme, que le roi, Á son instigation, avait nommÊ lieutenant gÊnÊral. Il en rÊsulta que, sous peine de voir MM. de Bassompierre et Schomberg dÊserter l'armÊe, on fut obligÊ de faire Á chacun un commandement particulier : Bassompierre prit ses quartiers au nord de la ville, depuis La Leu jusqu'Á Dompierre ; le duc d'AngoulËme Á l'est, depuis Dompierre jusqu'Á PÊrigny ; et M. de Schomberg au midi, depuis PÊrigny jusqu'Á Angoutin. Le logis de Monsieur Êtait Á Dompierre. Le logis du roi Êtait tantÆt Á EtrÊ, tantÆt Á La Jarrie. Enfin le logis du cardinal Êtait sur les dunes, au pont de La Pierre, dans une simple maison sans aucun retranchement. De cette faÚon, Monsieur surveillait Bassompierre ; le roi, le duc d'AngoulËme, et le cardinal, M. de Schomberg. AussitÆt cette organisation Êtablie, on s'Êtait occupÊ de chasser les Anglais de l'Ïle. La conjoncture Êtait favorable : les Anglais, qui ont, avant toute chose, besoin de bons vivres pour Ëtre de bons soldats, ne mangeant que des viandes salÊes et de mauvais biscuits, avaient force malades dans leur camp ; de plus, la mer, fort mauvaise Á cette Êpoque de l'annÊe sur toutes les cÆtes de l'ocÊan, mettait tous les jours quelque petit b×timent Á mal ; et la plage, depuis la pointe de l'Aiguillon jusqu'Á la tranchÊe, Êtait littÊralement, Á chaque marÊe, couverte des dÊbris de pinasses, de roberges et de felouques ; il en rÊsultait que, mËme les gens du roi se tinssent-ils dans leur camp, il Êtait Êvident qu'un jour ou l'autre Buckingham, qui ne demeurait dans l'Ïle de RÊ que par entËtement, serait obligÊ de lever le siÉge. Mais, comme M. de Toiras fit dire que tout se prÊparait dans le camp ennemi pour un nouvel assaut, le roi jugea qu'il fallait en finir et donna les ordres nÊcessaires pour une affaire dÊcisive. Notre intention n'Êtant pas de faire un journal de siÉge, mais au contraire de n'en rapporter que les ÊvÊnements qui ont trait Á l'histoire que nous racontons, nous nous contenterons de dire en deux mots que l'entreprise rÊussit au grand Êtonnement du roi et Á la grande gloire de M. le cardinal. Les Anglais, repoussÊs pied Á pied, battus dans toutes les rencontres, ÊcrasÊs au passage de l'Ïle de Loix, furent obligÊs de se rembarquer, laissant sur le champ de bataille deux mille hommes parmi lesquels cinq colonels, trois lieutenants-colonels, deux cent cinquante capitaines et vingt gentilshommes de qualitÊ, quatre piÉces de canon et soixante drapeaux qui furent apportÊs Á Paris par Claude de Saint-Simon, et suspendus en grande pompe aux voÙtes de Notre- Dame. Des Te Deum furent chantÊs au camp, et de lÁ se rÊpandirent par toute la France. Le cardinal resta donc maÏtre de poursuivre le siÉge sans avoir, du moins momentanÊment, rien Á craindre de la part des Anglais. Mais, comme nous venons de le dire, le repos n'Êtait que momentanÊ. Un envoyÊ du duc de Buckingham, nommÊ Montaigu, avait ÊtÊ pris, et l'on avait acquis la preuve d'une ligue entre l'Empire, l'Espagne, l'Angleterre et la Lorraine. Cette ligue Êtait dirigÊe contre la France. De plus, dans le logis de Buckingham, qu'il avait ÊtÊ forcÊ d'abandonner plus prÊcipitamment qu'il ne l'avait cru, on avait trouvÊ des papiers qui confirmaient cette ligue, et qui, Á ce qu'assure M. le cardinal dans ses MÊmoires, compromettaient fort Mme de Chevreuse, et par consÊquent la reine. C'Êtait sur le cardinal que pesait toute la responsabilitÊ, car on n'est pas ministre absolu sans Ëtre responsable ; aussi toutes les ressources de son vaste gÊnie Êtaient-elles tendues nuit et jour, et occupÊes Á Êcouter le moindre bruit qui s'Êlevait dans un des grands royaumes de l'Europe. Le cardinal connaissait l'activitÊ et surtout la haine de Buckingham ; si la ligue qui menaÚait la France triomphait, toute son influence Êtait perdue : la politique espagnole et la politique autrichienne avaient leurs reprÊsentants dans le cabinet du Louvre, oÝ elles n'avaient encore que des partisans ; lui Richelieu, le ministre franÚais, le ministre national par excellence, Êtait perdu. Le roi, qui, tout en lui obÊissant comme un enfant, le haÐssait comme un enfant hait son maÏtre, l'abandonnait aux vengeances rÊunies de Monsieur et de la reine ; il Êtait donc perdu, et peut-Ëtre la France avec lui. Il fallait parer Á tout cela. Aussi vit-on les courriers, devenus Á chaque instant plus nombreux, se succÊder nuit et jour dans cette petite maison du pont de La Pierre, oÝ le cardinal avait Êtabli sa rÊsidence. C'Êtaient des moines qui portaient si mal le froc, qu'il Êtait facile de reconnaÏtre qu'ils appartenaient surtout Á l'Eglise militante ; des femmes un peu gËnÊes dans leurs costumes de pages, et dont les larges trousses ne pouvaient entiÉrement dissimuler les formes arrondies ; enfin des paysans aux mains noircies, mais Á la jambe fine, et qui sentaient l'homme de qualitÊ Á une lieue Á la ronde. Puis encore d'autres visites moins agrÊables, car deux ou trois fois le bruit se rÊpandit que le cardinal avait failli Ëtre assassinÊ. Il est vrai que les ennemis de Son Eminence disaient que c'Êtait elle- mËme qui mettait en campagne les assassins maladroits, afin d'avoir le cas ÊchÊant le droit d'user de reprÊsailles ; mais il ne faut croire ni Á ce que disent les ministres, ni Á ce que disent leurs ennemis. Ce qui n'empËchait pas, au reste, le cardinal, Á qui ses plus acharnÊs dÊtracteurs n'ont jamais contestÊ la bravoure personnelle, de faire force courses nocturnes tantÆt pour communiquer au duc d'AngoulËme des ordres importants, tantÆt pour aller se concerter avec le roi, tantÆt pour aller confÊrer avec quelque messager qu'il ne voulait pas qu'on laiss×t entrer chez lui. De leur cÆtÊ les mousquetaires, qui n'avaient pas grand-chose Á faire au siÉge, n'Êtaient pas tenus sÊvÉrement et menaient joyeuse vie. Cela leur Êtait d'autant plus facile, Á nos trois compagnons surtout, qu'Êtant des amis de M. de TrÊville, ils obtenaient facilement de lui de s'attarder et de rester aprÉs la fermeture du camp avec des permissions particuliÉres. Or, un soir que d'Artagnan, qui Êtait de tranchÊe, n'avait pu les accompagner, Athos, Porthos et Aramis, montÊs sur leurs chevaux de bataille, enveloppÊs de manteaux de guerre, une main sur la crosse de leurs pistolets, revenaient tous trois d'une buvette qu'Athos avait dÊcouverte deux jours auparavant sur la route de La Jarrie, et qu'on appelait le Colombier-Rouge, suivant le chemin qui conduisait au camp, tout en se tenant sur leurs gardes, comme nous l'avons dit, de peur d'embuscade, lorsqu'Á un quart de lieue Á peu prÉs du village de Boisnar ils crurent entendre le pas d'une cavalcade qui venait Á eux ; aussitÆt tous trois s'arrËtÉrent, serrÊs l'un contre l'autre, et attendirent, tenant le milieu de la route : au bout d'un instant, et comme la lune sortait justement d'un nuage, ils virent apparaÏtre au dÊtour d'un chemin deux cavaliers qui, en les apercevant, s'arrËtÉrent Á leur tour, paraissant dÊlibÊrer s'ils devaient continuer leur route ou retourner en arriÉre. Cette hÊsitation donna quelques soupÚons aux trois amis, et Athos, faisant quelques pas en avant, cria de sa voix ferme : " Qui vive ? -- Qui vive vous-mËme ? rÊpondit un de ces deux cavaliers. -- Ce n'est pas rÊpondre, cela ! dit Athos. Qui vive ? RÊpondez, ou nous chargeons. -- Prenez garde Á ce que vous allez faire, Messieurs ! dit alors une voix vibrante qui paraissait avoir l'habitude du commandement. -- C'est quelque officier supÊrieur qui fait sa ronde de nuit, dit Athos, que voulez-vous faire, Messieurs ? -- Qui Ëtes-vous ? dit la mËme voix du mËme ton de commandement ; rÊpondez Á votre tour, ou vous pourriez vous mal trouver de votre dÊsobÊissance. -- Mousquetaires du roi, dit Athos, de plus en plus convaincu que celui qui les interrogeait en avait le droit. -- Quelle compagnie ? -- Compagnie de TrÊville. -- Avancez Á l'ordre, et venez me rendre compte de ce que vous faites ici, Á cette heure. " Les trois compagnons s'avancÉrent, l'oreille un peu basse, car tous trois maintenant Êtaient convaincus qu'ils avaient affaire Á plus fort qu'eux ; on laissa, au reste, Á Athos le soin de porter la parole. Un des deux cavaliers, celui qui avait pris la parole en second lieu, Êtait Á dix pas en avant de son compagnon ; Athos fit signe Á Porthos et Á Aramis de rester de leur cÆtÊ en arriÉre, et s'avanÚa seul. " Pardon, mon officier ! dit Athos ; mais nous ignorions Á qui nous avions affaire, et vous pouvez voir que nous faisions bonne garde. -- Votre nom ? dit l'officier, qui se couvrait une partie du visage avec son manteau. -- Mais vous-mËme, Monsieur, dit Athos qui commenÚait Á se rÊvolter contre cette inquisition ; donnez-moi, je vous prie, la preuve que vous avez le droit de m'interroger. -- Votre nom ? reprit une seconde fois le cavalier en laissant tomber son manteau de maniÉre Á avoir le visage dÊcouvert. -- Monsieur le cardinal ! s'Êcria le mousquetaire stupÊfait. -- Votre nom ? reprit pour la troisiÉme fois Son Eminence. -- Athos " , dit le mousquetaire. Le cardinal fit un signe Á l'Êcuyer, qui se rapprocha. " Ces trois mousquetaires nous suivront, dit-il Á voix basse, je ne veux pas qu'on sache que je suis sorti du camp, et, en nous suivant, nous serons sÙrs qu'ils ne le diront Á personne. -- Nous sommes gentilshommes, Monseigneur, dit Athos ; demandez- nous donc notre parole et ne vous inquiÊtez de rien. Dieu merci, nous savons garder un secret. " Le cardinal fixa ses yeux perÚants sur ce hardi interlocuteur. " Vous avez l'oreille fine, Monsieur Athos, dit le cardinal ; mais maintenant, Êcoutez ceci : ce n'est point par dÊfiance que je vous prie de me suivre, c'est pour ma sÙretÊ : sans doute vos deux compagnons sont MM. Porthos et Aramis ? -- Oui, Votre Eminence, dit Athos, tandis que les deux mousquetaires restÊs en arriÉre s'approchaient, le chapeau Á la main. -- Je vous connais, Messieurs, dit le cardinal, je vous connais : je sais que vous n'Ëtes pas tout Á fait de mes amis, et j'en suis f×chÊ, mais je sais que vous Ëtes de braves et loyaux gentilshommes, et qu'on peut se fier Á vous. Monsieur Athos, faites-moi donc l'honneur de m'accompagner, vous et vos deux amis, et alors j'aurai une escorte Á faire envie Á Sa MajestÊ, si nous la rencontrons. " Les trois mousquetaires s'inclinÉrent jusque sur le cou de leurs chevaux. " Eh bien, sur mon honneur, dit Athos, Votre Eminence a raison de nous emmener avec elle : nous avons rencontrÊ sur la route des visages affreux, et nous avons mËme eu avec quatre de ces visages une querelle au Colombier-Rouge. -- Une querelle, et pourquoi, Messieurs ? dit le cardinal , je n'aime pas les querelleurs, vous le savez ! -- C'est justement pour cela que j'ai l'honneur de prÊvenir Votre Eminence de ce qui vient d'arriver ; car elle pourrait l'apprendre par d'autres que par nous, et, sur un faux rapport, croire que nous sommes en faute. -- Et quels ont ÊtÊ les rÊsultats de cette querelle ? demanda le cardinal en fronÚant le sourcil. -- Mais mon ami Aramis, que voici, a reÚu un petit coup d'ÊpÊe dans le bras, ce qui ne l'empËchera pas, comme Votre Eminence peut le voir, de monter Á l'assaut demain, si Votre Eminence ordonne l'escalade. -- Mais vous n'Ëtes pas hommes Á vous laisser donner des coups d'ÊpÊe ainsi, dit le cardinal : voyons, soyez francs, Messieurs, vous en avez bien rendu quelques-uns ; confessez-vous, vous savez que j'ai le droit de donner l'absolution. -- Moi, Monseigneur, dit Athos, je n'ai pas mËme mis l'ÊpÊe Á la main, mais j'ai pris celui Á qui j'avais affaire Á bras-le-corps et je l'ai jetÊ par la fenËtre ; il paraÏt qu'en tombant, continua Athos avec quelque hÊsitation, il s'est cassÊ la cuisse. -- Ah ! ah ! fit le cardinal ; et vous, Monsieur Porthos ? -- Moi, Monseigneur, sachant que le duel est dÊfendu, j'ai saisi un banc, et j'en ai donnÊ Á l'un de ces brigands un coup qui, je crois, lui a brisÊ l'Êpaule. -- Bien, dit le cardinal ; et vous, Monsieur Aramis ? -- Moi, Monseigneur, comme je suis d'un naturel trÉs doux et que, d'ailleurs, ce que Monseigneur ne sait peut-Ëtre pas, je suis sur le point de rentrer dans les ordres, je voulais sÊparer mes camarades, quand un de ces misÊrables m'a donnÊ traÏtreusement un coup d'ÊpÊe Á travers le bras gauche : alors la patience m'a manquÊ, j'ai tirÊ mon ÊpÊe Á mon tour, et comme il revenait Á la charge, je crois avoir senti qu'en se jetant sur moi il se l'Êtait passÊe au travers du corps : je sais bien qu'il est tombÊ seulement, et il m'a semblÊ qu'on l'emportait avec ses deux compagnons. -- Diable, Messieurs ! dit le cardinal, trois hommes hors de combat pour une dispute de cabaret, vous n'y allez pas de main morte ; et Á propos de quoi Êtait venue la querelle ? -- Ces misÊrables Êtaient ivres, dit Athos, et sachant qu'il y avait une femme qui Êtait arrivÊe le soir dans le cabaret, ils voulaient forcer la porte. -- Forcer la porte ! dit le cardinal, et pour quoi faire ? -- Pour lui faire violence sans doute, dit : Athos ; j'ai eu l'honneur de dire Á Votre Eminence que ces misÊrables Êtaient ivres. -- Et cette femme Êtait jeune et jolie ? demanda le cardinal avec une certaine inquiÊtude. -- Nous ne l'avons pas vue, Monseigneur, dit Athos. -- Vous ne l'avez pas vue ; ah ! trÉs bien, reprit vivement le cardinal ; vous avez bien fait de dÊfendre l'honneur d'une femme, et, comme c'est Á l'auberge du Colombier-Rouge que je vais moi-mËme, je saurai si vous m'avez dit la vÊritÊ. -- Monseigneur, dit fiÉrement Athos, nous sommes gentilshommes, et pour sauver notre tËte, nous ne ferions pas un mensonge. -- Aussi je ne doute pas de ce que vous me dites, Monsieur Athos, je n'en doute pas un seul instant ; mais, ajouta-t-il pour changer la conversation, cette dame Êtait donc seule ? -- Cette dame avait un cavalier enfermÊ avec elle, dit Athos ; mais, comme malgrÊ le bruit ce cavalier ne s'est pas montrÊ, il est Á prÊsumer que c'est un l×che. -- Ne jugez pas tÊmÊrairement, dit l'Evangile " , rÊpliqua le cardinal. Athos s'inclina. " Et maintenant, Messieurs, c'est bien, continua Son Eminence, je sais ce que je voulais savoir ; suivez-moi. " Les trois mousquetaires passÉrent derriÉre le cardinal, qui s'enveloppa de nouveau le visage de son manteau et remit son cheval en marche, se tenant Á huit ou dix pas en avant de ses quatre compagnons. On arriva bientÆt Á l'auberge silencieuse et solitaire ; sans doute l'hÆte savait quel illustre visiteur il attendait, et en consÊquence il avait renvoyÊ les importuns. Dix pas avant d'arriver Á la porte, le cardinal fit signe Á son Êcuyer et aux trois mousquetaires de faire halte, un cheval tout sellÊ Êtait attachÊ au contrevent, le cardinal frappa trois coups et de certaine faÚon. Un homme enveloppÊ d'un manteau sortit aussitÆt et Êchangea quelques rapides paroles avec le cardinal ; aprÉs quoi il remonta Á cheval et repartit dans la direction de SurgÉres, qui Êtait aussi celle de Paris. " Avancez, Messieurs, dit le cardinal. -- Vous m'avez dit la vÊritÊ, mes gentilshommes, dit-il en s'adressant aux trois mousquetaires, il ne tiendra pas Á moi que notre rencontre de ce soir ne vous soit avantageuse ; en attendant, suivez-moi. " Le cardinal mit pied Á terre, les trois mousquetaires en firent autant ; le cardinal jeta la bride de son cheval aux mains de son Êcuyer, les trois mousquetaires attachÉrent les brides des leurs aux contrevents. L'hÆte se tenait sur le seuil de la porte ; pour lui, le cardinal n'Êtait qu'un officier venant visiter une dame. " Avez-vous quelque chambre au rez-de-chaussÊe oÝ ces Messieurs puissent m'attendre prÉs d'un bon feu ? " dit le cardinal. L'hÆte ouvrit la porte d'une grande salle, dans laquelle justement on venait de remplacer un mauvais poËle par une grande et excellente cheminÊe. " J'ai celle-ci, rÊpondit-il. -- C'est bien, dit le cardinal ; entrez lÁ, Messieurs, et veuillez m'attendre ; je ne serai pas plus d'une demi-heure. " Et tandis que les trois mousquetaires entraient dans la chambre du rez- de-chaussÊe, le cardinal, sans demander plus amples renseignements, monta l'escalier en homme qui n'a pas besoin qu'on lui indique son chemin. CHAPITRE XLIV. DE L'UTILITE DES TUYAUX DE POELE Il Êtait Êvident que, sans s'en douter, et mus seulement par leur caractÉre chevaleresque et aventureux, nos trois amis venaient de rendre service Á quelqu'un que le cardinal honorait de sa protection particuliÉre. Maintenant quel Êtait ce quelqu'un ? C'est la question que se firent d'abord les trois mousquetaires ; puis, voyant qu'aucune des rÊponses que pouvait leur faire leur intelligence n'Êtait satisfaisante, Porthos appela l'hÆte et demanda des dÊs. Porthos et Aramis se placÉrent Á une table et se mirent Á jouer. Athos se promena en rÊflÊchissant. En rÊflÊchissant et en se promenant, Athos passait et repassait devant le tuyau du poËle rompu par la moitiÊ et dont l'autre extrÊmitÊ donnait dans la chambre supÊrieure, et Á chaque fois qu'il passait et repassait, il entendait un murmure de paroles qui finit par fixer son attention. Athos s'approcha, et il distingua quelques mots qui lui parurent sans doute mÊriter un si grand intÊrËt qu'il fit signe Á ses compagnons de se taire, restant lui-mËme courbÊ l'oreille tendue Á la hauteur de l'orifice infÊrieur. " Ecoutez, Milady, disait le cardinal, l'affaire est importante ; asseyez- vous lÁ et causons. -- Milady ! murmura Athos. -- J'Êcoute Votre Eminence avec la plus grande attention, rÊpondit une voix de femme qui fit tressaillir le mousquetaire. -- Un petit b×timent avec Êquipage anglais, dont le capitaine est Á moi, vous attend Á l'embouchure de la Charente, au fort de La Pointe ; il mettra Á la voile demain matin. -- Il faut alors que je m'y rende cette nuit ? -- A l'instant mËme, c'est-Á-dire lorsque vous aurez reÚu mes instructions. Deux hommes que vous trouverez Á la porte en sortant vous serviront d'escorte ; vous me laisserez sortir le premier, puis une demi-heure aprÉs moi, vous sortirez Á votre tour. -- Oui, Monseigneur. Maintenant revenons Á la mission dont vous voulez bien me charger ; et, comme je tiens Á continuer de mÊriter la confiance de Votre Eminence, daignez me l'exposer en termes clairs et prÊcis, afin que je ne commette aucune erreur. " Il y eut un instant de profond silence entre les deux interlocuteurs ; il Êtait Êvident que le cardinal mesurait d'avance les termes dans lesquels il allait parler, et que Milady recueillait toutes ses facultÊs intellectuelles pour comprendre les choses qu'il allait dire et les graver dans sa mÊmoire quand elles seraient dites. Athos profita de ce moment pour dire Á ses deux compagnons de fermer la porte en dedans et pour leur faire signe de venir Êcouter avec lui. Les deux mousquetaires, qui aimaient leurs aises, apportÉrent une chaise pour chacun d'eux, et une chaise pour Athos. Tous trois s'assirent alors, leurs tËtes rapprochÊes et l'oreille au guet. " Vous allez partir pour Londres, continua le cardinal. ArrivÊe Á Londres, vous irez trouver Buckingham. -- Je ferai observer Á Son Eminence, dit Milady, que depuis l'affaire des ferrets de diamants, pour laquelle le duc m'a toujours soupÚonnÊe, Sa Gr×ce se dÊfie de moi. -- Aussi cette fois-ci, dit le cardinal, ne s'agit-il plus de capter sa confiance, mais de se prÊsenter franchement et loyalement Á lui comme nÊgociatrice. -- Franchement et loyalement, rÊpÊta Milady avec une indicible expression de duplicitÊ. -- Oui, franchement et loyalement, reprit le cardinal du mËme ton ; toute cette nÊgociation doit Ëtre faite Á dÊcouvert. -- Je suivrai Á la lettre les instructions de Son Eminence, et j'attends qu'elle me les donne. -- Vous irez trouver Buckingham de ma part, et vous lui direz que je sais tous les prÊparatifs qu'il fait, mais que je ne m'en inquiÉte guÉre, attendu qu'au premier mouvement qu'il risquera, je perds la reine. -- Croira-t-il que Votre Eminence est en mesure d'accomplir la menace qu'elle lui fait ? -- Oui, car j'ai des preuves. -- Il faut que je puisse prÊsenter ces preuves Á son apprÊciation. -- Sans doute, et vous lui direz que je publie le rapport de Bois-Robert et du marquis de Beautru sur l'entrevue que le duc a eue chez Mme la connÊtable avec la reine, le soir que Mme la connÊtable a donnÊ une fËte masquÊe ; vous lui direz, afin qu'il ne doute de rien, qu'il y est venu sous le costume du Grand Mogol que devait porter le chevalier de Guise, et qu'il a achetÊ Á ce dernier moyennant la somme de trois mille pistoles. -- Bien, Monseigneur. -- Tous les dÊtails de son entrÊe au Louvre et de sa sortie pendant la nuit oÝ il s'est introduit au palais sous le costume d'un diseur de bonne aventure italien me sont connus ; vous lui direz, pour qu'il ne doute pas encore de l'authenticitÊ de mes renseignements, qu'il avait sous son manteau une grande robe blanche semÊe de larmes noires, de tËtes de mort et d'os en sautoir : car, en cas de surprise, il devait se faire passer pour le fantÆme de la Dame blanche qui, comme chacun le sait, revient au Louvre chaque fois que quelque grand ÊvÊnement va s'accomplir. -- Est-ce tout, Monseigneur ? -- Dites-lui que je sais encore tous les dÊtails de l'aventure d'Amiens, que j'en ferai faire un petit roman, spirituellement tournÊ, avec un plan du jardin et les portraits des principaux acteurs de cette scÉne nocturne. -- Je lui dirai cela. -- Dites-lui encore que je tiens Montaigu, que Montaigu est Á la Bastille, qu'on n'a surpris aucune lettre sur lui, c'est vrai, mais que la torture peut lui faire dire ce qu'il sait, et mËme... ce qu'il ne sait pas. -- A merveille. -- Enfin ajoutez que Sa Gr×ce, dans la prÊcipitation qu'elle a mise Á quitter l'Ïle de RÊ, oublia dans son logis certaine lettre de Mme de Chevreuse qui compromet singuliÉrement la reine, en ce qu'elle prouve non seulement que Sa MajestÊ peut aimer les ennemis du roi, mais encore qu'elle conspire avec ceux de la France. Vous avez bien retenu tout ce que je vous ai dit, n'est-ce pas ? -- Votre Eminence va en juger : le bal de Mme la connÊtable ; la nuit du Louvre ; la soirÊe d'Amiens ; l'arrestation de Montaigu ; la lettre de Mme de Chevreuse. -- C'est cela, dit le cardinal, c'est cela : vous avez une bien heureuse mÊmoire, Milady. -- Mais, reprit celle Á qui le cardinal venait d'adresser ce compliment flatteur, si malgrÊ toutes ces raisons le duc ne se rend pas et continue de menacer la France ? -- Le duc est amoureux comme un fou, ou plutÆt comme un niais, reprit Richelieu avec une profonde amertume ; comme les anciens paladins, il n'a entrepris cette guerre que pour obtenir un regard de sa belle. S'il sait que cette guerre peut coÙter l'honneur et peut-Ëtre la libertÊ Á la dame de ses pensÊes, comme il dit, je vous rÊponds qu'il y regardera Á deux fois. -- Et cependant, dit Milady avec une persistance qui prouvait qu'elle voulait voir clair jusqu'au bout, dans la mission dont elle allait Ëtre chargÊe, cependant s'il persiste ? -- S'il persiste, dit le cardinal... , ce n'est pas probable. -- C'est possible, dit Milady. -- S'il persiste... " Son Eminence fit une pause et reprit : " S'il persiste, Eh bien, j'espÊrerai dans un de ces ÊvÊnements qui changent la face des Etats. -- Si Son Eminence voulait me citer dans l'histoire quelques-uns de ces ÊvÊnements, dit Milady, peut-Ëtre partagerais-je sa confiance dans l'avenir. -- Eh bien tenez ! par exemple, dit Richelieu, lorsqu'en 1610, pour une cause Á peu prÉs pareille Á celle qui fait mouvoir le duc, le roi Henri IV, de glorieuse mÊmoire, allait Á la fois envahir les Flandres et l'Italie pour frapper Á la fois l'Autriche des deux cÆtÊs, Eh bien, n'est-il pas arrivÊ un ÊvÊnement qui a sauvÊ l'Autriche ? Pourquoi le roi de France n'aurait-il pas la mËme chance que l'empereur ? -- Votre Eminence veut parler du coup de couteau de la rue de la Ferronnerie ? -- Justement, dit le cardinal. -- Votre Eminence ne craint-elle pas que le supplice de Ravaillac Êpouvante ceux qui auraient un instant l'idÊe de l'imiter ? -- Il y aura en tout temps et dans tous les pays, surtout si ces pays sont divisÊs de religion, des fanatiques qui ne demanderont pas mieux que de se faire martyrs. Et tenez, justement il me revient Á cette heure que les puritains sont furieux contre le duc de Buckingham et que leurs prÊdicateurs le dÊsignent comme l'AntÊchrist. -- Eh bien ? fit Milady. -- Eh bien, continua le cardinal d'un air indiffÊrent, il ne s'agirait, pour le moment, par exemple, que de trouver une femme, belle, jeune, adroite, qui eÙt Á se venger elle-mËme du duc. Une pareille femme peut se rencontrer : le duc est homme Á bonnes fortunes, et, s'il a semÊ bien des amours par ses promesses de constance Êternelle, il a dÙ semer bien des haines aussi par ses Êternelles infidÊlitÊs. -- Sans doute, dit froidement Milady, une pareille femme peut se rencontrer. -- Eh bien, une pareille femme, qui mettrait le couteau de Jacques ClÊment ou de Ravaillac aux mains d'un fanatique, sauverait la France. -- Oui, mais elle serait la complice d'un assassinat. -- A-t-on jamais connu les complices de Ravaillac ou de Jacques ClÊment ? -- Non, car peut-Ëtre Êtaient-ils placÊs trop haut pour qu'on os×t les aller chercher lÁ oÝ ils Êtaient : on ne brÙlerait pas le Palais de Justice pour tout le monde, Monseigneur. -- Vous croyez donc que l'incendie du Palais de Justice a une cause autre que celle du hasard ? demanda Richelieu du ton dont il eÙt fait une question sans aucune importance. -- Moi, Monseigneur, rÊpondit Milady, je ne crois rien, je cite un fait, voilÁ tout ; seulement, je dis que si je m'appelais Mlle de Monpensier ou la reine Marie de MÊdicis, je prendrais moins de prÊcautions que j'en prends, m'appelant tout simplement Lady Clarick. -- C'est juste, dit Richelieu, et que voudriez-vous donc ? -- Je voudrais un ordre qui ratifi×t d'avance tout ce que je croirai devoir faire pour le plus grand bien de la France. -- Mais il faudrait d'abord trouver la femme que j'ai dit, et qui aurait Á se venger du duc. -- Elle est trouvÊe, dit Milady. -- Puis il faudrait trouver ce misÊrable fanatique qui servira d'instrument Á la justice de Dieu. -- On le trouvera. -- Eh bien, dit le duc, alors il sera temps de rÊclamer l'ordre que vous demandiez tout Á l'heure. -- Votre Eminence a raison, dit Milady, et c'est moi qui ai eu tort de voir dans la mission dont elle m'honore autre chose que ce qui est rÊellement, c'est-Á-dire d'annoncer Á Sa Gr×ce, de la part de Son Eminence, que vous connaissez les diffÊrents dÊguisements Á l'aide desquels il est parvenu Á se rapprocher de la reine pendant la fËte donnÊe par Mme la connÊtable ; que vous avez les preuves de l'entrevue accordÊe au Louvre par la reine Á certain astrologue italien qui n'est autre que le duc de Buckingham ; que vous avez commandÊ un petit roman, des plus spirituels, sur l'aventure d'Amiens, avec plan du jardin oÝ cette aventure s'est passÊe et portraits des acteurs qui y ont figurÊ ; que Montaigu est Á la Bastille, et que la torture peut lui faire dire des choses dont il se souvient et mËme des choses qu'il aurait oubliÊes ; enfin, que vous possÊdez certaine lettre de Mme de Chevreuse, trouvÊe dans le logis de Sa Gr×ce, qui compromet singuliÉrement, non seulement celle qui l'a Êcrite, mais encore celle au nom de qui elle a ÊtÊ Êcrite. Puis, s'il persiste malgrÊ tout cela, comme c'est Á ce que je viens de dire que se borne ma mission, je n'aurai plus qu'Á prier Dieu de faire un miracle pour sauver la France. C'est bien cela, n'est-ce pas, Monseigneur, et je n'ai pas autre chose Á faire ? -- C'est bien cela, reprit sÉchement le cardinal. -- Et maintenant, dit Milady sans paraÏtre remarquer le changement de ton du duc Á son Êgard, maintenant que j'ai reÚu les instructions de Votre Eminence Á propos de ses ennemis, Monseigneur me permettra- t-il de lui dire deux mots des miens ? -- Vous avez donc des ennemis ? demanda Richelieu. -- Oui, Monseigneur ; des ennemis contre lesquels vous me devez tout votre appui, car je me les suis faits en servant Votre Eminence. -- Et lesquels ? rÊpliqua le duc. -- D'abord une petite intrigante du nom de Bonacieux. -- Elle est dans la prison de Mantes. -- C'est-Á-dire qu'elle y Êtait, reprit Milady, mais la reine a surpris un ordre du roi, Á l'aide duquel elle l'a fait transporter dans un couvent. -- Dans un couvent ? dit le duc. -- Oui, dans un couvent. -- Et dans lequel ? -- Je l'ignore, le secret a ÊtÊ bien gardÊ... -- Je le saurai, moi ! -- Et Votre Eminence me dira dans quel couvent est cette femme ? -- Je n'y vois pas d'inconvÊnient, dit le cardinal. -- Bien ; maintenant j'ai un autre ennemi bien autrement Á craindre pour moi que cette petite Mme Bonacieux. -- Et lequel ? -- Son amant. -- Comment s'appelle-t-il ? -- Oh ! Votre Eminence le connaÏt bien, s'Êcria Milady emportÊe par la colÉre, c'est notre mauvais gÊnie Á tous deux ; c'est celui qui, dans une rencontre avec les gardes de Votre Eminence, a dÊcidÊ la victoire en faveur des mousquetaires du roi ; c'est celui qui a donnÊ trois coups d'ÊpÊe Á de Wardes, votre Êmissaire, et qui a fait Êchouer l'affaire des ferrets ; c'est celui enfin qui, sachant que c'Êtait moi qui lui avais enlevÊ Mme Bonacieux, a jurÊ ma mort. -- Ah ! ah ! dit le cardinal, je sais de qui vous voulez parler. -- Je veux parler de ce misÊrable d'Artagnan. -- C'est un hardi compagnon, dit le cardinal. -- Et c'est justement parce que c'est un hardi compagnon qu'il n'en est que plus Á craindre. -- Il faudrait, dit le duc, avoir une preuve de ses intelligences avec Buckingham. -- Une preuve ! s'Êcria Milady, j'en aurai dix. -- Eh bien, alors ! c'est la chose la plus simple du monde, ayez-moi cette preuve et je l'envoie Á la Bastille. -- Bien, Monseigneur ! mais ensuite ? -- Quand on est Á la Bastille, il n'y a pas d' ensuite , dit le cardinal d'une voix sourde. Ah ! pardieu, continua-t-il, s'il m'Êtait aussi facile de me dÊbarrasser de mon ennemi qu'il m'est facile de me dÊbarrasser des vÆtres, et si c'Êtait contre de pareilles gens que vous me demandiez l'impunitÊ !... -- Monseigneur, reprit Milady, troc pour troc, existence pour existence, homme pour homme ; donnez-moi celui-lÁ, je vous donne l'autre. -- Je ne sais pas ce que vous voulez dire, reprit le cardinal, et ne veux mËme pas le savoir ; mais j'ai le dÊsir de vous Ëtre agrÊable et ne vois aucun inconvÊnient Á vous donner ce que vous demandez Á l'Êgard d'une si infime crÊature ; d'autant plus, comme vous me le dites, que ce petit d'Artagnan est un libertin, un duelliste, un traÏtre. -- Un inf×me, Monseigneur, un inf×me ! -- Donnez-moi donc du papier, une plume et de l'encre, dit le cardinal. -- En voici, Monseigneur. " Il se fit un instant de silence qui prouvait que le cardinal Êtait occupÊ Á chercher les termes dans lesquels devait Ëtre Êcrit le billet, ou mËme Á l'Êcrire. Athos, qui n'avait pas perdu un mot de la conversation, prit ses deux compagnons chacun par une main et les conduisit Á l'autre bout de la chambre. " Eh bien, dit Porthos, que veux-tu, et pourquoi ne nous laisses-tu pas Êcouter la fin de la conversation ? -- Chut ! dit Athos parlant Á voix basse, nous en avons entendu tout ce qu'il est nÊcessaire que nous entendions ; d'ailleurs je ne vous empËche pas d'Êcouter le reste, mais il faut que je sorte. -- Il faut que tu sortes ! dit Porthos ; mais si le cardinal te demande, que rÊpondrons-nous ? -- Vous n'attendrez pas qu'il me demande, vous lui direz les premiers que je suis parti en Êclaireur parce que certaines paroles de notre hÆte m'ont donnÊ Á penser que le chemin n'Êtait pas sÙr ; j'en toucherai d'abord deux mots Á l'Êcuyer du cardinal ; le reste me regarde, ne vous en inquiÊtez pas. -- Soyez prudent, Athos ! dit Aramis. -- Soyez tranquille, rÊpondit Athos, vous le savez, j'ai du sang-froid. " Porthos et Aramis allÉrent reprendre leur place prÉs du tuyau de poËle. Quant Á Athos, il sortit sans aucun mystÉre, alla prendre son cheval attachÊ avec ceux de ses deux amis aux tourniquets des contrevents, convainquit en quatre mots l'Êcuyer de la nÊcessitÊ d'une avant-garde pour le retour, visita avec affectation l'amorce de ses pistolets, mit l'ÊpÊe aux dents et suivit, en enfant perdu, la route qui conduisait au camp. CHAPITRE XLV. SCENE CONJUGALE Comme l'avait prÊvu Athos, le cardinal ne tarda point Á descendre ; il ouvrit la porte de la chambre oÝ Êtaient entrÊs les mousquetaires, et trouva Porthos faisant une partie de dÊs acharnÊe avec Aramis. D'un coup d'oeil rapide, il fouilla tous les coins de la salle, et vit qu'un de ses hommes lui manquait. " Qu'est devenu M. Athos ? demanda-t-il. -- Monseigneur, rÊpondit Porthos, il est parti en Êclaireur sur quelques propos de notre hÆte, qui lui ont fait croire que la route n'Êtait pas sÙre. -- Et vous, qu'avez-vous fait, Monsieur Porthos ? -- J'ai gagnÊ cinq pistoles Á Aramis. -- Et maintenant, vous pouvez revenir avec moi ? -- Nous sommes aux ordres de Votre Eminence. -- A cheval donc, Messieurs, car il se fait tard. " L'Êcuyer Êtait Á la porte, et tenait en bride le cheval du cardinal. Un peu plus loin, un groupe de deux hommes et de trois chevaux apparaissait dans l'ombre ; ces deux hommes Êtaient ceux qui devaient conduire Milady au fort de La Pointe, et veiller Á son embarquement. L'Êcuyer confirma au cardinal ce que les deux mousquetaires lui avaient dÊjÁ dit Á propos d'Athos. Le cardinal fit un geste approbateur, et reprit la route, s'entourant au retour des mËmes prÊcautions qu'il avait prises au dÊpart. Laissons-le suivre le chemin du camp, protÊgÊ par l'Êcuyer et les deux mousquetaires, et revenons Á Athos. Pendant une centaine de pas, il avait marchÊ de la mËme allure ; mais, une fois hors de vue, il avait lancÊ son cheval Á droite, avait fait un dÊtour, et Êtait revenu Á une vingtaine de pas, dans le taillis, guetter le passage de la petite troupe ; ayant reconnu les chapeaux bordÊs de ses compagnons et la frange dorÊe du manteau de M. le cardinal, il attendit que les cavaliers eussent tournÊ l'angle de la route, et, les ayant perdus de vue, il revint au galop Á l'auberge, qu'on lui ouvrit sans difficultÊ. L'hÆte le reconnut. " Mon officier, dit Athos, a oubliÊ de faire Á la dame du premier une recommandation importante, il m'envoie pour rÊparer son oubli. -- Montez, dit l'hÆte, elle est encore dans sa chambre. " Athos profita de la permission, monta l'escalier de son pas le plus lÊger, arriva sur le carrÊ, et, Á travers la porte entrouverte, il vit Milady qui attachait son chapeau. Il entra dans la chambre, et referma la porte derriÉre lui. Au bruit qu'il fit en repoussant le verrou, Milady se retourna. Athos Êtait debout devant la porte, enveloppÊ dans son manteau, son chapeau rabattu sur ses yeux. En voyant cette figure muette et immobile comme une statue, Milady eut peur. " Qui Ëtes-vous ? et que demandez-vous ? " s'Êcria-t-elle. -- Allons, c'est bien elle ! " murmura Athos. Et, laissant tomber son manteau, et relevant son feutre, il s'avanÚa vers Milady. " Me reconnaissez-vous, Madame ? " dit-il. Milady fit un pas en avant, puis recula comme Á la vue d'un serpent. " Allons, dit Athos, c'est bien, je vois que vous me reconnaissez. -- Le comte de La FÉre ! murmura Milady en p×lissant et en reculant jusqu'Á ce que la muraille l'empËch×t d'aller plus loin. -- Oui, Milady, rÊpondit Athos, le comte de La FÉre en personne, qui revient tout exprÉs de l'autre monde pour avoir le plaisir de vous voir. Asseyons-nous donc, et causons, comme dit Monseigneur le cardinal. " Milady, dominÊe par une terreur inexprimable, s'assit sans profÊrer une seule parole. " Vous Ëtes donc un dÊmon envoyÊ sur la terre ? dit Athos. Votre puissance est grande, je le sais ; mais vous savez aussi qu'avec l'aide de Dieu les hommes ont souvent vaincu les dÊmons les plus terribles. Vous vous Ëtes dÊjÁ trouvÊe sur mon chemin, je croyais vous avoir terrassÊe, Madame ; mais, ou je me trompais, ou l'enfer vous a ressuscitÊe. " Milady, Á ces paroles qui lui rappelaient des souvenirs effroyables, baissa la tËte avec un gÊmissement sourd. " Oui, l'enfer vous a ressuscitÊe, reprit Athos, l'enfer vous a faite riche, l'enfer vous a donnÊ un autre nom, l'enfer vous a presque refait mËme un autre visage ; mais il n'a effacÊ ni les souillures de votre ×me, ni la flÊtrissure de votre corps. " Milady se leva comme mue par un ressort, et ses yeux lancÉrent des Êclairs. Athos resta assis. " Vous me croyiez mort, n'est-ce pas, comme je vous croyais morte ? et ce nom d'Athos avait cachÊ le comte de La FÉre, comme le nom de Milady Clarick avait cachÊ Anne de Breuil ! N'Êtait-ce pas ainsi que vous vous appeliez quand votre honorÊ frÉre nous a mariÊs ? Notre position est vraiment Êtrange, poursuivit Athos en riant ; nous n'avons vÊcu jusqu'Á prÊsent l'un et l'autre que parce que nous nous croyions morts, et qu'un souvenir gËne moins qu'une crÊature, quoique ce soit chose dÊvorante parfois qu'un souvenir ! -- Mais enfin, dit Milady d'une voix sourde, qui vous ramÉne vers moi ? et que me voulez-vous ? -- Je veux vous dire que, tout en restant invisible Á vos yeux, je ne vous ai pas perdue de vue, moi ! -- Vous savez ce que j'ai fait ? -- Je puis vous raconter jour par jour vos actions, depuis votre entrÊe au service du cardinal jusqu'Á ce soir. " Un sourire d'incrÊdulitÊ passa sur les lÉvres p×les de Milady. " Ecoutez : c'est vous qui avez coupÊ les deux ferrets de diamants sur l'Êpaule du duc de Buckingham ; c'est vous qui avez fait enlever Mme Bonacieux ; c'est vous qui, amoureuse de de Wardes, et croyant passer la nuit avec lui, avez ouvert votre porte Á M. d'Artagnan ; c'est vous qui, croyant que de Wardes vous avait trompÊe, avez voulu le faire tuer par son rival ; c'est vous qui, lorsque ce rival eut dÊcouvert votre inf×me secret, avez voulu le faire tuer Á son tour par deux assassins que vous avez envoyÊs Á sa poursuite ; c'est vous qui, voyant que les balles avaient manquÊ leur coup, avez envoyÊ du vin empoisonnÊ avec une fausse lettre, pour faire croire Á votre victime que ce vin venait de ses amis ; c'est vous, enfin, qui venez lÁ, dans cette chambre, assise sur cette chaise oÝ je suis, de prendre avec le cardinal de Richelieu l'engagement de faire assassiner le duc de Buckingham, en Êchange de la promesse qu'il vous a faite de vous laisser assassiner d'Artagnan. " Milady Êtait livide. " Mais vous Ëtes donc Satan ? dit-elle. -- Peut-Ëtre, dit Athos ; mais, en tout cas, Êcoutez bien ceci : Assassinez ou faites assassiner le duc de Buckingham, peu m'importe ! je ne le connais pas : d'ailleurs c'est un Anglais ; mais ne touchez pas du bout du doigt Á un seul cheveu de d'Artagnan, qui est un fidÉle ami que j'aime et que je dÊfends, ou, je vous le jure par la tËte de mon pÉre, le crime que vous aurez commis sera le dernier. -- M. d'Artagnan m'a cruellement offensÊe, dit Milady d'une voix sourde, M. d'Artagnan mourra. -- En vÊritÊ, cela est-il possible qu'on vous offense, Madame ? dit en riant Athos ; il vous a offensÊe, et il mourra ? -- Il mourra, reprit Milady ; elle d'abord, lui ensuite. " Athos fut saisi comme d'un vertige : la vue de cette crÊature, qui n'avait rien d'une femme, lui rappelait des souvenirs terribles ; il pensa qu'un jour, dans une situation moins dangereuse que celle oÝ il se trouvait, il avait dÊjÁ voulu la sacrifier Á son honneur ; son dÊsir de meurtre lui revint brÙlant et l'envahit comme une fiÉvre ardente : il se leva Á son tour, porta la main Á sa ceinture, en tira un pistolet et l'arma. Milady, p×le comme un cadavre, voulut crier, mais sa langue glacÊe ne put profÊrer qu'un son rauque qui n'avait rien de la parole humaine et qui semblait le r×le d'une bËte fauve ; collÊe contre la sombre tapisserie, elle apparaissait, les cheveux Êpars, comme l'image effrayante de la terreur. Athos leva lentement son pistolet, Êtendit le bras de maniÉre que l'arme touch×t presque le front de Milady, puis, d'une voix d'autant plus terrible qu'elle avait le calme suprËme d'une inflexible rÊsolution : " Madame, dit-il, vous allez Á l'instant mËme me remettre le papier que vous a signÊ le cardinal, ou, sur mon ×me, je vous fais sauter la cervelle. " Avec un autre homme Milady aurait pu conserver quelque doute, mais elle connaissait Athos ; cependant elle resta immobile. " Vous avez une seconde pour vous dÊcider " , dit-il. Milady vit Á la contraction de son visage que le coup allait partir ; elle porta vivement la main Á sa poitrine, en tira un papier et le tendit Á Athos. " Tenez, dit-elle, et soyez maudit ! " Athos prit le papier, repassa le pistolet Á sa ceinture, s'approcha de la lampe pour s'assurer que c'Êtait bien celui-lÁ, le dÊplia et lut : " C'est par mon ordre et pour le bien de l'Etat que le porteur du prÊsent a fait ce qu'il a fait. " " 3 dÊcembre 1627 " " RICHELIEU " " Et maintenant, dit Athos en reprenant son manteau et en replaÚant son feutre sur sa tËte, maintenant que je t'ai arrachÊ les dents, vipÉre, mords si tu peux. " Et il sortit de la chambre sans mËme regarder en arriÉre. A la porte il trouva les deux hommes et le cheval qu'ils tenaient en main. " Messieurs, dit-il, l'ordre de Monseigneur, vous le savez, est de conduire cette femme, sans perdre de temps, au fort de La Pointe et de ne la quitter que lorsqu'elle sera Á bord. " Comme ces paroles s'accordaient effectivement avec l'ordre qu'ils avaient reÚu, ils inclinÉrent la tËte en signe d'assentiment. Quant Á Athos, il se mit lÊgÉrement en selle et partit au galop ; seulement, au lieu de suivre la route, il prit Á travers champs, piquant avec vigueur son cheval et de temps en temps s'arrËtant pour Êcouter. Dans une de ces haltes, il entendit sur la route le pas de plusieurs chevaux. Il ne douta point que ce ne fÙt le cardinal et son escorte. AussitÆt il fit une nouvelle pointe en avant, bouchonna son cheval avec de la bruyÉre et des feuilles d'arbres, et vint se mettre en travers de la route Á deux cents pas du camp Á peu prÉs. " Qui vive ? cria-t-il, de loin quand il aperÚut les cavaliers. -- C'est notre brave mousquetaire, je crois, dit le cardinal. -- Oui, Monseigneur, rÊpondit Athos. C'est lui-mËme. -- Monsieur Athos, dit Richelieu, recevez tous mes remerciements pour la bonne garde que vous nous avez faite ; Messieurs, nous voici arrivÊs : prenez la porte Á gauche, le mot d'ordre est Roi et RÊ . " En disant ces mots, le cardinal salua de la tËte les trois amis, et prit Á droite suivi de son Êcuyer ; car, cette nuit-lÁ, lui-mËme couchait au camp. " Eh bien, dirent ensemble Porthos et Aramis lorsque le cardinal fut hors de la portÊe de la voix, eh bien ! il a signÊ le papier qu'elle demandait. -- Je le sais, dit tranquillement Athos, puisque le voici. " Et les trois amis n'ÊchangÉrent plus une seule parole jusqu'Á leur quartier, exceptÊ pour donner le mot d'ordre aux sentinelles. Seulement, on envoya Mousqueton dire Á Planchet que son maÏtre Êtait priÊ, en relevant de tranchÊe, de se rendre Á l'instant mËme au logis des mousquetaires. D'un autre cÆtÊ, comme l'avait prÊvu Athos, Milady, en retrouvant Á la porte les hommes qui l'attendaient, ne fit aucune difficultÊ de les suivre ; elle avait bien eu l'envie un instant de se faire reconduire devant le cardinal et de lui tout raconter, mais une rÊvÊlation de sa part amenait une rÊvÊlation de la part d'Athos : elle dirait bien qu'Athos l'avait pendue, mais Athos dirait qu'elle Êtait marquÊe ; elle pensa qu'il valait donc encore mieux garder le silence, partir discrÉtement, accomplir avec son habiletÊ ordinaire la mission difficile dont elle s'Êtait chargÊe, puis, toutes les choses accomplies Á la satisfaction du cardinal, venir lui rÊclamer sa vengeance. En consÊquence, aprÉs avoir voyagÊ toute la nuit, Á sept heures du matin elle Êtait au fort de La Pointe, Á huit heures elle Êtait embarquÊe, et Á neuf heures le b×timent, qui, avec des lettres de marque du cardinal, Êtait censÊ Ëtre en partance pour Bayonne, levait l'ancre et faisait voile pour l'Angleterre. CHAPITRE XLVI. LE BASTION SAINT-GERVAIS En arrivant chez ses trois amis, d'Artagnan les trouva rÊunis dans la mËme chambre : Athos rÊflÊchissait, Porthos frisait sa moustache, Aramis disait ses priÉres dans un charmant petit livre d'heures reliÊ en velours bleu. " Pardieu, Messieurs ! dit-il, j'espÉre que ce que vous avez Á me dire en vaut la peine, sans cela je vous prÊviens que je ne vous pardonnerai pas de m'avoir fait venir, au lieu de me laisser reposer aprÉs une nuit passÊe Á prendre et Á dÊmanteler un bastion. Ah ! que n'Êtiez-vous lÁ, Messieurs ! il y a fait chaud ! -- Nous Êtions ailleurs, oÝ il ne faisait pas froid non plus ! rÊpondit Porthos tout en faisant prendre Á sa moustache un pli qui lui Êtait particulier. -- Chut ! dit Athos. -- Oh ! oh ! fit d'Artagnan comprenant le lÊger froncement de sourcils du mousquetaire, il paraÏt qu'il y a du nouveau ici. -- Aramis, dit Athos, vous avez ÊtÊ dÊjeuner avant-hier Á l'auberge du Parpaillot, je crois ? -- Oui. -- Comment est-on lÁ ? -- Mais, j'y ai fort mal mangÊ pour mon compte, avant-hier Êtait un jour maigre, et ils n'avaient que du gras. -- Comment ! dit Athos, dans un port de mer ils n'ont pas de poisson ? -- Ils disent, reprit Aramis en se remettant Á sa pieuse lecture, que la digue que fait b×tir M. le cardinal le chasse en pleine mer. -- Mais, ce n'est pas cela que je vous demandais, Aramis, reprit Athos ; je vous demandais si vous aviez ÊtÊ bien libre, et si personne ne vous avait dÊrangÊ ? -- Mais il me semble que nous n'avons pas eu trop d'importuns ; oui, au fait, pour ce que vous voulez dire, Athos, nous serons assez bien au Parpaillot. -- Allons donc au Parpaillot, dit Athos, car ici les murailles sont comme des feuilles de papier. " D'Artagnan, qui Êtait habituÊ aux maniÉres de faire de son ami, et qui reconnaissait tout de suite Á une parole, Á un geste, Á un signe de lui, que les circonstances Êtaient graves, prit le bras d'Athos et sortit avec lui sans rien dire ; Porthos suivit en devisant avec Aramis. En route, on rencontra Grimaud, Athos lui fit signe de suivre ; Grimaud, selon son habitude, obÊit en silence ; le pauvre garÚon avait Á peu prÉs fini par dÊsapprendre de parler. On arriva Á la buvette du Parpaillot : il Êtait sept heures du matin, le jour commenÚait Á paraÏtre ; les trois amis commandÉrent Á dÊjeuner, et entrÉrent dans une salle oÝ, au dire de l'hÆte, ils ne devaient pas Ëtre dÊrangÊs. Malheureusement l'heure Êtait mal choisie pour un conciliabule ; on venait de battre la diane, chacun secouait le sommeil de la nuit, et, pour chasser l'air humide du matin, venait boire la goutte Á la buvette : dragons, Suisses, gardes, mousquetaires, chevau-lÊgers se succÊdaient avec une rapiditÊ qui devait trÉs bien faire les affaires de l'hÆte, mais qui remplissait fort mal les vues des quatre amis. Aussi rÊpondaient-ils d'une maniÉre fort maussade aux saluts, aux toasts et aux lazzi de leurs compagnons. " Allons ! dit Athos, nous allons nous faire quelque bonne querelle, et nous n'avons pas besoin de cela en ce moment. D'Artagnan, racontez- nous votre nuit ; nous vous raconterons la nÆtre aprÉs. -- En effet, dit un chevau-lÊger qui se dandinait en tenant Á la main un verre d'eau-de-vie qu'il dÊgustait lentement ; en effet, vous Êtiez de tranchÊe cette nuit, Messieurs les gardes, et il me semble que vous avez eu maille Á partir avec les Rochelois ? " D'Artagnan regarda Athos pour savoir s'il devait rÊpondre Á cet intrus qui se mËlait Á la conversation. " Eh bien, dit Athos, n'entends-tu pas M. de Busigny qui te fait l'honneur de t'adresser la parole ? Raconte ce qui s'est passÊ cette nuit, puisque ces Messieurs dÊsirent le savoir. -- N'avre-bous bas bris un pastion ? demanda un Suisse qui buvait du rhum dans un verre Á biÉre. -- Oui, Monsieur, rÊpondit d'Artagnan en s'inclinant, nous avons eu cet honneur, nous avons mËme, comme vous avez pu l'entendre, introduit sous un des angles un baril de poudre qui, en Êclatant, a fait une fort jolie brÉche ; sans compter que, comme le bastion n'Êtait pas d'hier, tout le reste de la b×tisse s'en est trouvÊ fort ÊbranlÊ. -- Et quel bastion est-ce ? demanda un dragon qui tenait enfilÊe Á son sabre une oie qu'il apportait pour qu'on la fÏt cuire. -- Le bastion Saint-Gervais, rÊpondit d'Artagnan, derriÉre lequel les Rochelois inquiÊtaient nos travailleurs. -- Et l'affaire a ÊtÊ chaude ? -- Mais, oui ; nous y avons perdu cinq hommes, et les Rochelois huit ou dix. -- Balzampleu ! fit le Suisse, qui, malgrÊ l'admirable collection de jurons que possÉde la langue allemande, avait pris l'habitude de jurer en franÚais. -- Mais il est probable, dit le chevau-lÊger, qu'ils vont, ce matin, envoyer des pionniers pour remettre le bastion en Êtat. -- Oui, c'est probable, dit d'Artagnan. -- Messieurs, dit Athos, un pari ! -- Ah ! woui ! un bari ! dit le Suisse. -- Lequel ? demanda le chevau-lÊger. -- Attendez, dit le dragon en posant son sabre comme une broche sur les deux grands chenets de fer qui soutenaient le feu de la cheminÊe, j'en suis. HÆtelier de malheur ! une lÉchefrite tout de suite, que je ne perde pas une goutte de la graisse de cette estimable volaille. -- Il avre raison, dit le Suisse, la graisse t'oie, il est trÉs ponne avec des gonfitures. -- LÁ ! dit le dragon. Maintenant, voyons le pari ! Nous Êcoutons, Monsieur Athos ! -- Oui, le pari ! dit le chevau-lÊger. -- Eh bien, Monsieur de Busigny, je parie avec vous, dit Athos, que mes trois compagnons, MM. Porthos, Aramis, d'Artagnan et moi, nous allons dÊjeuner dans le bastion Saint-Gervais et que nous y tenons une heure, montre Á la main, quelque chose que l'ennemi fasse pour nous dÊloger. " Porthos et Aramis se regardÉrent, ils commenÚaient Á comprendre. " Mais, dit d'Artagnan en se penchant Á l'oreille d'Athos, tu vas nous faire tuer sans misÊricorde. -- Nous sommes bien plus tuÊs, rÊpondit Athos, si nous n'y allons pas. -- Ah ! ma foi ! Messieurs, dit Porthos en se renversant sur sa chaise et frisant sa moustache, voici un beau pari, j'espÉre. -- Aussi je l'accepte, dit M. de Busigny ; maintenant il s'agit de fixer l'enjeu. -- Mais vous Ëtes quatre, Messieurs, dit Athos, nous sommes quatre ; un dÏner Á discrÊtion pour huit, cela vous va-t-il ? -- A merveille, reprit M. de Busigny. -- Parfaitement, dit le dragon. -- Ca me fa " , dit le Suisse. Le quatriÉme auditeur, qui, dans toute cette conversation, avait jouÊ un rÆle muet, fit un signe de la tËte en signe qu'il acquiesÚait Á la proposition. " Le dÊjeuner de ces Messieurs est prËt, dit l'hÆte. -- Eh bien, apportez-le " , dit Athos. L'hÆte obÊit. Athos appela Grimaud, lui montra un grand panier qui gisait dans un coin et fit le geste d'envelopper dans les serviettes les viandes apportÊes. Grimaud comprit Á l'instant mËme qu'il s'agissait d'un dÊjeuner sur l'herbe, prit le panier, empaqueta les viandes, y joignit les bouteilles et prit le panier Á son bras. " Mais oÝ allez-vous manger mon dÊjeuner ? dit l'hÆte. -- Que vous importe, dit Athos, pourvu qu'on vous le paie ? " Et il jeta majestueusement deux pistoles sur la table. " Faut-il vous rendre, mon officier ? dit l'hÆte. -- Non ; ajoute seulement deux bouteilles de vin de Champagne et la diffÊrence sera pour les serviettes. " L'hÆte ne faisait pas une aussi bonne affaire qu'il l'avait cru d'abord, mais il se rattrapa en glissant aux quatre convives deux bouteilles de vin d'Anjou au lieu de deux bouteilles de vin de Champagne. " Monsieur de Busigny, dit Athos, voulez-vous bien rÊgler votre montre sur la mienne, ou me permettre de rÊgler la mienne sur la vÆtre ? -- A merveille, Monsieur ! dit le chevau-lÊger en tirant de son gousset une fort belle montre entourÊe de diamants ; sept heures et demie, dit- il. -- Sept heures trente-cinq minutes, dit Athos ; nous saurons que j'avance de cinq minutes sur vous, Monsieur. " Et, saluant les assistants Êbahis, les quatre jeunes gens prirent le chemin du bastion Saint-Gervais, suivis de Grimaud, qui portait le panier, ignorant oÝ il allait, mais, dans l'obÊissance passive dont il avait pris l'habitude avec Athos, ne songeait pas mËme Á le demander. Tant qu'ils furent dans l'enceinte du camp, les quatre amis n'ÊchangÉrent pas une parole ; d'ailleurs ils Êtaient suivis par les curieux, qui, connaissant le pari engagÊ, voulaient savoir comment ils s'en tireraient. Mais une fois qu'ils eurent franchi la ligne de circonvallation et qu'ils se trouvÉrent en plein air, d'Artagnan, qui ignorait complÉtement ce dont il s'agissait, crut qu'il Êtait temps de demander une explication. " Et maintenant, mon cher Athos, dit-il, faites-moi l'amitiÊ de m'apprendre oÝ nous allons ? -- Vous le voyez bien, dit Athos, nous allons au bastion. -- Mais qu'y allons-nous faire ? -- Vous le savez bien, nous y allons dÊjeuner. -- Mais pourquoi n'avons-nous pas dÊjeunÊ au Parpaillot ? -- Parce que nous avons des choses fort importantes Á nous dire, et qu'il Êtait impossible de causer cinq minutes dans cette auberge avec tous ces importuns qui vont, qui viennent, qui saluent, qui accostent ; ici, du moins, continua Athos en montrant le bastion, on ne viendra pas nous dÊranger. -- Il me semble, dit d'Artagnan avec cette prudence qui s'alliait si bien et si naturellement chez lui Á une excessive bravoure, il me semble que nous aurions pu trouver quelque endroit ÊcartÊ dans les dunes, au bord de la mer. -- OÝ l'on nous aurait vus confÊrer tous les quatre ensemble, de sorte qu'au bout d'un quart d'heure le cardinal eÙt ÊtÊ prÊvenu par ses espions que nous tenions conseil. -- Oui, dit Aramis, Athos a raison : Animadvertuntur in desertis . -- Un dÊsert n'aurait pas ÊtÊ mal, dit Porthos, mais il s'agissait de le trouver. -- Il n'y a pas de dÊsert oÝ un oiseau ne puisse passer au-dessus de la tËte, oÝ un poisson ne puisse sauter au-dessus de l'eau, oÝ un lapin ne puisse partir de son gÏte, et je crois qu'oiseau, poisson, lapin, tout s'est fait espion du cardinal. Mieux vaut donc poursuivre notre entreprise, devant laquelle d'ailleurs nous ne pouvons plus reculer sans honte ; nous avons fait un pari, un pari qui ne pouvait Ëtre prÊvu, et dont je dÊfie qui que ce soit de deviner la vÊritable cause : nous allons, pour le gagner, tenir une heure dans le bastion. Ou nous serons attaquÊs, ou nous ne le serons pas. Si nous ne le sommes pas, nous aurons tout le temps de causer et personne ne nous entendra, car je rÊponds que les murs de ce bastion n'ont pas d'oreilles ; si nous le sommes, nous causerons de nos affaires tout de mËme, et de plus, tout en nous dÊfendant, nous nous couvrons de gloire. Vous voyez bien que tout est bÊnÊfice. -- Oui, dit d'Artagnan, mais nous attraperons indubitablement une balle. -- Eh ! mon cher, dit Athos, vous savez bien que les balles les plus Á craindre ne sont pas celles de l'ennemi. -- Mais il me semble que pour une pareille expÊdition, nous aurions dÙ au moins emporter nos mousquets. -- Vous Ëtes un niais, ami Porthos ; pourquoi nous charger d'un fardeau inutile ? -- Je ne trouve pas inutile en face de l'ennemi un bon mousquet de calibre, douze cartouches et une poire Á poudre. -- Oh ! bien, dit Athos, n'avez-vous pas entendu ce qu'a dit d'Artagnan ? -- Qu'a dit d'Artagnan ? demanda Porthos. -- D'Artagnan a dit que dans l'attaque de cette nuit il y avait eu huit ou dix FranÚais de tuÊs et autant de Rochelois. -- AprÉs ? -- On n'a pas eu le temps de les dÊpouiller, n'est-ce pas ? attendu qu'on avait autre chose pour le moment de plus pressÊ Á faire. -- Eh bien ? -- Eh bien, nous allons trouver leurs mousquets, leurs poires Á poudre et leurs cartouches, et au lieu de quatre mousquetons et de douze balles, nous allons avoir une quinzaine de fusils et une centaine de coups Á tirer. -- O Athos ! dit Aramis, tu es vÊritablement un grand homme ! " Porthos inclina la tËte en signe d'adhÊsion. D'Artagnan seul ne paraissait pas convaincu. Sans doute Grimaud partageait les doutes du jeune homme ; car, voyant que l'on continuait de marcher vers le bastion, chose dont il avait doutÊ jusqu'alors, il tira son maÏtre par le pan de son habit. " OÝ allons-nous ? " demanda-t-il par geste. Athos lui montra le bastion. " Mais, dit toujours dans le mËme dialecte le silencieux Grimaud, nous y laisserons notre peau. " Athos leva les yeux et le doigt vers le ciel. Grimaud posa son panier Á terre et s'assit en secouant la tËte. Athos prit Á sa ceinture un pistolet, regarda s'il Êtait bien amorcÊ, l'arma et approcha le canon de l'oreille de Grimaud. Grimaud se retrouva sur ses jambes comme par un ressort. Athos alors lui fit signe de prendre le panier et de marcher devant. Grimaud obÊit. Tout ce qu'avait gagnÊ le pauvre garÚon Á cette pantomime d'un instant, c'est qu'il Êtait passÊ de l'arriÉre-garde Á l'avant-garde. ArrivÊs au bastion, les quatre amis se retournÉrent. Plus de trois cents soldats de toutes armes Êtaient assemblÊs Á la porte du camp, et dans un groupe sÊparÊ on pouvait distinguer M. de Busigny, le dragon, le Suisse et le quatriÉme parieur. Athos Æta son chapeau, le mit au bout de son ÊpÊe et l'agita en l'air. Tous les spectateurs lui rendirent son salut, accompagnant cette politesse d'un grand hourra qui arriva jusqu'Á eux. AprÉs quoi, ils disparurent tous quatre dans le bastion, oÝ les avait dÊjÁ prÊcÊdÊs Grimaud. CHAPITRE XLVII. LE CONSEIL DES MOUSQUETAIRES Comme l'avait prÊvu Athos, le bastion n'Êtait occupÊ que par une douzaine de morts tant FranÚais que Rochelois. " Messieurs, dit Athos, qui avait pris le commandement de l'expÊdition, tandis que Grimaud va mettre la table, commenÚons par recueillir les fusils et les cartouches ; nous pouvons d'ailleurs causer tout en accomplissant cette besogne. Ces Messieurs, ajouta-t-il en montrant les morts, ne nous Êcoutent pas. -- Mais nous pourrions toujours les jeter dans le fossÊ, dit Porthos, aprÉs toutefois nous Ëtre assurÊs qu'ils n'ont rien dans leurs poches. -- Oui, dit Aramis, c'est l'affaire de Grimaud. -- Ah ! bien alors, dit d'Artagnan, que Grimaud les fouille et les jette par-dessus les murailles. -- Gardons-nous-en bien, dit Athos, ils peuvent nous servir. -- Ces morts peuvent nous servir ? dit Porthos. Ah ÚÁ ! vous devenez fou, cher ami. -- Ne jugez pas tÊmÊrairement, disent l'Evangile et M. le cardinal, rÊpondit Athos ; combien de fusils, Messieurs ? -- Douze, rÊpondit Aramis. -- Combien de coups Á tirer ? -- Une centaine. -- C'est tout autant qu'il nous en faut ; chargeons les armes. " Les quatre mousquetaires se mirent Á la besogne. Comme ils achevaient de charger le dernier fusil, Grimaud fit signe que le dÊjeuner Êtait servi. Athos rÊpondit, toujours par geste, que c'Êtait bien, et indiqua Á Grimaud une espÉce de poivriÉre oÝ celui-ci comprit qu'il se devait tenir en sentinelle. Seulement, pour adoucir l'ennui de la faction, Athos lui permit d'emporter un pain, deux cÆtelettes et une bouteille de vin. " Et maintenant, Á table " , dit Athos. Les quatre amis s'assirent Á terre, les jambes croisÊes, comme les Turcs ou comme les tailleurs. " Ah ! maintenant, dit d'Artagnan, que tu n'as plus la crainte d'Ëtre entendu, j'espÉre que tu vas nous faire part de ton secret, Athos. -- J'espÉre que je vous procure Á la fois de l'agrÊment et de la gloire, Messieurs, dit Athos. Je vous ai fait faire une promenade charmante ; voici un dÊjeuner des plus succulents, et cinq cents personnes lÁ-bas, comme vous pouvez les voir Á travers les meurtriÉres, qui nous prennent pour des fous ou pour des hÊros, deux classes d'imbÊciles qui se ressemblent assez. -- Mais ce secret ? demanda d'Artagnan. -- Le secret, dit Athos, c'est que j'ai vu Milady hier soir. " D'Artagnan portait son verre Á ses lÉvres ; mais Á ce nom de Milady, la main lui trembla si fort, qu'il le posa Á terre pour ne pas en rÊpandre le contenu. " Tu as vu ta fem... -- Chut donc ! interrompit Athos : vous oubliez, mon cher, que ces Messieurs ne sont pas initiÊs comme vous dans le secret de mes affaires de mÊnage ; j'ai vu Milady. -- Et oÝ cela ? demanda d'Artagnan. -- A deux lieues d'ici Á peu prÉs, Á l'auberge du Colombier-Rouge. -- En ce cas je suis perdu, dit d'Artagnan. -- Non, pas tout Á fait encore, reprit Athos ; car, Á cette heure, elle doit avoir quittÊ les cÆtes de France. " D'Artagnan respira. " Mais au bout du compte, demanda Porthos, qu'est-ce donc que cette Milady ? -- Une femme charmante, dit Athos en dÊgustant un verre de vin mousseux. Canaille d'hÆtelier ! s'Êcria-t-il, qui nous donne du vin d'Anjou pour du vin de Champagne, et qui croit que nous nous y laisserons prendre ! Oui, continua-t-il, une femme charmante qui a eu des bontÊs pour notre ami d'Artagnan, qui lui a fait je ne sais quelle noirceur dont elle a essayÊ de se venger, il y a un mois en voulant le faire tuer Á coups de mousquet, il y a huit jours en essayant de l'empoisonner, et hier en demandant sa tËte au cardinal. -- Comment ! en demandant ma tËte au cardinal ? s'Êcria d'Artagnan, p×le de terreur. -- Ca, dit Porthos, c'est vrai comme l'Evangile ; je l'ai entendu de mes deux oreilles. -- Moi aussi, dit Aramis. -- Alors, dit d'Artagnan en laissant tomber son bras avec dÊcouragement, il est inutile de lutter plus longtemps ; autant que je me brÙle la cervelle et que tout soit fini ! -- C'est la derniÉre sottise qu'il faut faire, dit Athos, attendu que c'est la seule Á laquelle il n'y ait pas de remÉde. -- Mais je n'en rÊchapperai jamais, dit d'Artagnan, avec des ennemis pareils. D'abord mon inconnu de Meung ; ensuite de Wardes, Á qui j'ai donnÊ trois coups d'ÊpÊe ; puis Milady, dont j'ai surpris le secret ; enfin, le cardinal, dont j'ai fait Êchouer la vengeance. -- Eh bien, dit Athos, tout cela ne fait que quatre, et nous sommes quatre, un contre un. Pardieu ! si nous en croyons les signes que nous fait Grimaud, nous allons avoir affaire Á un bien plus grand nombre de gens. Qu'y a-t-il, Grimaud ? ConsidÊrant la gravitÊ de la circonstance, je vous permets de parler, mon ami, mais soyez laconique je vous prie. Que voyez-vous ? -- Une troupe. -- De combien de personnes ? -- De vingt hommes. -- Quels hommes ? -- Seize pionniers, quatre soldats. -- A combien de pas sont-ils ? -- A cinq cents pas. -- Bon, nous avons encore le temps d'achever cette volaille et de boire un verre de vin Á ta santÊ, d'Artagnan ! -- A ta santÊ ! rÊpÊtÉrent Porthos et Aramis. -- Eh bien donc, Á ma santÊ ! quoique je ne croie pas que vos souhaits me servent Á grand-chose. -- Bah ! dit Athos, Dieu est grand, comme disent les sectateurs de Mahomet, et l'avenir est dans ses mains. " Puis, avalant le contenu de son verre, qu'il posa prÉs de lui, Athos se leva nonchalamment, prit le premier fusil venu et s'approcha d'une meurtriÉre. Porthos, Aramis et d'Artagnan en firent autant. Quant Á Grimaud, il reÚut l'ordre de se placer derriÉre les quatre amis afin de recharger les armes. Au bout d'un instant on vit paraÏtre la troupe ; elle suivait une espÉce de boyau de tranchÊe qui Êtablissait une communication entre le bastion et la ville. " Pardieu ! dit Athos, c'est bien la peine de nous dÊranger pour une vingtaine de drÆles armÊs de pioches, de hoyaux et de pelles ! Grimaud n'aurait eu qu'Á leur faire signe de s'en aller, et je suis convaincu qu'ils nous eussent laissÊs tranquilles. -- J'en doute, observa d'Artagnan, car ils avancent fort rÊsolument de ce cÆtÊ. D'ailleurs, il y a avec les travailleurs quatre soldats et un brigadier armÊs de mousquets. -- C'est qu'ils ne nous ont pas vus, reprit Athos. -- Ma foi ! dit Aramis, j'avoue que j'ai rÊpugnance Á tirer sur ces pauvres diables de bourgeois. -- Mauvais prËtre, rÊpondit Porthos, qui a pitiÊ des hÊrÊtiques ! -- En vÊritÊ, dit Athos, Aramis a raison, je vais les prÊvenir. -- Que diable faites-vous donc ? s'Êcria d'Artagnan, vous allez vous faire fusiller, mon cher. " Mais Athos ne tint aucun compte de l'avis, et, montant sur la brÉche, son fusil d'une main et son chapeau de l'autre : " Messieurs, dit-il en s'adressant aux soldats et aux travailleurs, qui, ÊtonnÊs de son apparition, s'arrËtaient Á cinquante pas environ du bastion, et en les saluant courtoisement, Messieurs, nous sommes, quelques amis et moi, en train de dÊjeuner dans ce bastion. Or, vous savez que rien n'est dÊsagrÊable comme d'Ëtre dÊrangÊ quand on dÊjeune ; nous vous prions donc, si vous avez absolument affaire ici, d'attendre que nous ayons fini notre repas, ou de repasser plus tard, Á moins qu'il ne vous prenne la salutaire envie de quitter le parti de la rÊbellion et de venir boire avec nous Á la santÊ du roi de France. -- Prends garde, Athos ! s'Êcria d'Artagnan ; ne vois-tu pas qu'ils te mettent en joue ? -- Si fait, si fait, dit Athos, mais ce sont des bourgeois qui tirent fort mal, et qui n'ont garde de me toucher. " En effet, au mËme instant quatre coups de fusil partirent, et les balles vinrent s'aplatir autour d'Athos, mais sans qu'une seule le touch×t. Quatre coups de fusil leur rÊpondirent presque en mËme temps, mais ils Êtaient mieux dirigÊs que ceux des agresseurs, trois soldats tombÉrent tuÊs raide, et un des travailleurs fut blessÊ. " Grimaud, un autre mousquet ! " dit Athos toujours sur la brÉche. Grimaud obÊit aussitÆt. De leur cÆtÊ, les trois amis avaient chargÊ leurs armes ; une seconde dÊcharge suivit la premiÉre : le brigadier et deux pionniers tombÉrent morts, le reste de la troupe prit la fuite. " Allons, Messieurs, une sortie " , dit Athos. Et les quatre amis, s'ÊlanÚant hors du fort, parvinrent jusqu'au champ de bataille, ramassÉrent les quatre mousquets des soldats et la demi- pique du brigadier ; et, convaincus que les fuyards ne s'arrËteraient qu'Á la ville, reprirent le chemin du bastion, rapportant les trophÊes de leur victoire. " Rechargez les armes, Grimaud, dit Athos, et nous, Messieurs, reprenons notre dÊjeuner et continuons notre conversation. OÝ en Êtions-nous ? -- Je me le rappelle, dit d'Artagnan, qui se prÊoccupait fort de l'itinÊraire que devait suivre Milady. -- Elle va en Angleterre, rÊpondit Athos. -- Et dans quel but ? -- Dans le but d'assassiner ou de faire assassiner Buckingham. " D'Artagnan poussa une exclamation de surprise et d'indignation. " Mais c'est inf×me ! s'Êcria-t-il. -- Oh ! quant Á cela, dit Athos, je vous prie de croire que je m'en inquiÉte fort peu. Maintenant que vous avez fini, Grimaud, continua Athos, prenez la demi-pique de notre brigadier, attachez-y une serviette et plantez-la au haut de notre bastion, afin que ces rebelles de Rochelois voient qu'ils ont affaire Á de braves et loyaux soldats du roi. " Grimaud obÊit sans rÊpondre. Un instant aprÉs le drapeau blanc flottait au-dessus de la tËte des quatre amis ; un tonnerre d'applaudissements salua son apparition ; la moitiÊ du camp Êtait aux barriÉres. " Comment ! reprit d'Artagnan, tu t'inquiÉtes fort peu qu'elle tue ou qu'elle fasse tuer Buckingham ? Mais le duc est notre ami. -- Le duc est Anglais, le duc combat contre nous ; qu'elle fasse du duc ce qu'elle voudra, je m'en soucie comme d'une bouteille vide. " Et Athos envoya Á quinze pas de lui une bouteille qu'il tenait, et dont il venait de transvaser jusqu'Á la derniÉre goutte dans son verre. " Un instant, dit d'Artagnan, je n'abandonne pas Buckingham ainsi ; il nous avait donnÊ de fort beaux chevaux. -- Et surtout de fort belles selles, ajouta Porthos, qui, Á ce moment mËme, portait Á son manteau le galon de la sienne. -- Puis, observa Aramis, Dieu veut la conversion et non la mort du pÊcheur. -- Amen , dit Athos, et nous reviendrons lÁ-dessus plus tard, si tel est votre plaisir ; mais ce qui, pour le moment, me prÊoccupait le plus, et je suis sÙr que tu me comprendras, d'Artagnan, c'Êtait de reprendre Á cette femme une espÉce de blanc-seing qu'elle avait extorquÊ au cardinal, et Á l'aide duquel elle devait impunÊment se dÊbarrasser de toi et peut-Ëtre de nous. -- Mais c'est donc un dÊmon que cette crÊature ? dit Porthos en tendant son assiette Á Aramis, qui dÊcoupait une volaille. -- Et ce blanc-seing, dit d'Artagnan, ce blanc-seing est-il restÊ entre ses mains ? -- Non, il est passÊ dans les miennes ; je ne dirai pas que ce fut sans peine, par exemple, car je mentirais. -- Mon cher Athos, dit d'Artagnan, je ne compte plus les fois que je vous dois la vie. -- Alors c'Êtait donc pour venir prÉs d'elle que vous nous avez quittÊs ? demanda Aramis. -- Justement. -- Et tu as cette lettre du cardinal ? dit d'Artagnan. -- La voici " , dit Athos. Et il tira le prÊcieux papier de la poche de sa casaque. D'Artagnan le dÊplia d'une main dont il n'essayait pas mËme de dissimuler le tremblement et lut : " C'est par mon ordre et pour le bien de l'Etat que le porteur du prÊsent a fait ce qu'il a fait. " " 5 dÊcembre 1627 " " RICHELIEU. " " En effet, dit Aramis, c'est une absolution dans toutes les rÉgles. -- Il faut dÊchirer ce papier, s'Êcria d'Artagnan, qui semblait lire sa sentence de mort. -- Bien au contraire, dit Athos, il faut le conserver prÊcieusement, et je ne donnerais pas ce papier quand on le couvrirait de piÉces d'or. -- Et que va-t-elle faire maintenant ? demanda le jeune homme. -- Mais, dit nÊgligemment Athos, elle va probablement Êcrire au cardinal qu'un damnÊ mousquetaire, nommÊ Athos, lui a arrachÊ son sauf-conduit ; elle lui donnera dans la mËme lettre le conseil de se dÊbarrasser, en mËme temps que de lui, de ses deux amis, Porthos et Aramis ; le cardinal se rappellera que ce sont les mËmes hommes qu'il rencontre toujours sur son chemin ; alors, un beau matin, il fera arrËter d'Artagnan, et, pour qu'il ne s'ennuie pas tout seul, il nous enverra lui tenir compagnie Á la Bastille. -- Ah ÚÁ, mais ! dit Porthos, il me semble que vous faites lÁ de tristes plaisanteries, mon cher. -- Je ne plaisante pas, rÊpondit Athos. -- Savez-vous, dit Porthos, que tordre le cou Á cette damnÊe Milady serait un pÊchÊ moins grand que de le tordre Á ces pauvres diables de huguenots, qui n'ont jamais commis d'autres crimes que de chanter en franÚais des psaumes que nous chantons en latin ? -- Qu'en dit l'abbÊ ? demanda tranquillement Athos. -- Je dis que je suis de l'avis de Porthos, rÊpondit Aramis. -- Et moi donc ! fit d'Artagnan. -- Heureusement qu'elle est loin, observa Porthos ; car j'avoue qu'elle me gËnerait fort ici. -- Elle me gËne en Angleterre aussi bien qu'en France, dit Athos. -- Elle me gËne partout, continua d'Artagnan. -- Mais puisque vous la teniez, dit Porthos, que ne l'avez-vous noyÊe, ÊtranglÊe, pendue ? Il n'y a que les morts qui ne reviennent pas. -- Vous croyez cela, Porthos ? rÊpondit le mousquetaire avec un sombre sourire que d'Artagnan comprit seul. -- J'ai une idÊe, dit d'Artagnan. -- Voyons, dirent les mousquetaires. -- Aux armes ! " cria Grimaud. Les jeunes gens se levÉrent vivement et coururent aux fusils. Cette fois, une petite troupe s'avanÚait composÊe de vingt ou vingt- cinq hommes ; mais ce n'Êtaient plus des travailleurs, c'Êtaient des soldats de la garnison. " Si nous retournions au camp ? dit Porthos, il me semble que la partie n'est pas Êgale. -- Impossible pour trois raisons, rÊpondit Athos : la premiÉre, c'est que nous n'avons pas fini de dÊjeuner ; la seconde, c'est que nous avons encore des choses d'importance Á dire ; la troisiÉme, c'est qu'il s'en manque encore de dix minutes que l'heure ne soit ÊcoulÊe. -- Voyons, dit Aramis, il faut cependant arrËter un plan de bataille. -- Il est bien simple, rÊpondit Athos : aussitÆt que l'ennemi est Á portÊe de mousquet, nous faisons feu ; s'il continue d'avancer, nous faisons feu encore, nous faisons feu tant que nous avons des fusils chargÊs ; si ce qui reste de la troupe veut encore monter Á l'assaut, nous laissons les assiÊgeants descendre jusque dans le fossÊ, et alors nous leur poussons sur la tËte ce pan de mur qui ne tient plus que par un miracle d'Êquilibre. -- Bravo ! s'Êcria Porthos ; dÊcidÊment, Athos, vous Êtiez nÊ pour Ëtre gÊnÊral, et le cardinal, qui se croit un grand homme de guerre, est bien peu de chose auprÉs de vous. -- Messieurs, dit Athos, pas de double emploi, je vous prie ; visez bien chacun votre homme. -- Je tiens le mien, dit d'Artagnan. -- Et moi le mien, dit Porthos. -- Et moi idem, dit Aramis. -- Alors feu ! " dit Athos. Les quatre coups de fusil ne firent qu'une dÊtonation, et quatre hommes tombÉrent. AussitÆt le tambour battit, et la petite troupe s'avanÚa au pas de charge. Alors les coups de fusil se succÊdÉrent sans rÊgularitÊ, mais toujours envoyÊs avec la mËme justesse. Cependant, comme s'ils eussent connu la faiblesse numÊrique des amis, les Rochelois continuaient d'avancer au pas de course. Sur trois autres coups de fusil, deux hommes tombÉrent ; mais cependant la marche de ceux qui restaient debout ne se ralentissait pas. ArrivÊs au bas du bastion, les ennemis Êtaient encore douze ou quinze ; une derniÉre dÊcharge les accueillit, mais ne les arrËta point : ils sautÉrent dans le fossÊ et s'apprËtÉrent Á escalader la brÉche. " Allons, mes amis, dit Athos, finissons-en d'un coup : Á la muraille ! Á la muraille ! " Et les quatre amis, secondÊs par Grimaud, se mirent Á pousser avec le canon de leurs fusils un Ênorme pan de mur, qui s'inclina comme si le vent le poussait, et, se dÊtachant de sa base, tomba avec un bruit horrible dans le fossÊ : puis on entendit un grand cri, un nuage de poussiÉre monta vers le ciel, et tout fut dit. " Les aurions-nous ÊcrasÊs depuis le premier jusqu'au dernier ? demanda Athos. -- Ma foi, cela m'en a l'air, dit d'Artagnan. -- Non, dit Porthos, en voilÁ deux ou trois qui se sauvent tout ÊclopÊs. " En effet, trois ou quatre de ces malheureux, couverts de boue et de sang, fuyaient dans le chemin creux et regagnaient la ville : c'Êtait tout ce qui restait de la petite troupe. Athos regarda Á sa montre. " Messieurs, dit-il, il y a une heure que nous sommes ici, et maintenant le pari est gagnÊ, mais il faut Ëtre beaux joueurs : d'ailleurs d'Artagnan ne nous a pas dit son idÊe. " Et le mousquetaire, avec son sang-froid habituel, alla s'asseoir devant les restes du dÊjeuner. " Mon idÊe ? dit d'Artagnan. -- Oui, vous disiez que vous aviez une idÊe, rÊpliqua Athos. -- Ah ! j'y suis, reprit d'Artagnan : je passe en Angleterre une seconde fois, je vais trouver M. de Buckingham et je l'avertis du complot tramÊ contre sa vie. -- Vous ne ferez pas cela, d'Artagnan, dit froidement Athos. -- Et pourquoi cela ? ne l'ai-je pas fait dÊjÁ ? -- Oui, mais Á cette Êpoque nous n'Êtions pas en guerre ; Á cette Êpoque, M. de Buckingham Êtait un alliÊ et non un ennemi : ce que vous voulez faire serait taxÊ de trahison. " D'Artagnan comprit la force de ce raisonnement et se tut. " Mais, dit Porthos, il me semble que j'ai une idÊe Á mon tour. -- Silence pour l'idÊe de M. Porthos ! dit Aramis. -- Je demande un congÊ Á M. de TrÊville, sous un prÊtexte quelconque que vous trouverez : je ne suis pas fort sur les prÊtextes, moi. Milady ne me connaÏt pas, je m'approche d'elle sans qu'elle me redoute, et lorsque je trouve ma belle, je l'Êtrangle. -- Eh bien, dit Athos, je ne suis pas trÉs ÊloignÊ d'adopter l'idÊe de Porthos. -- Fi donc ! dit Aramis, tuer une femme ! Non, tenez, moi, j'ai la vÊritable idÊe. -- Voyons votre idÊe, Aramis ! demanda Athos, qui avait beaucoup de dÊfÊre